pu vous compter officiellement ce temps." Perets le repoussa du coude et s'enfonúa dans la foule, les jambes flageolantes. - ... Plutæt que de rester chez soi á suer de peur, disait quelqu'un dans la foule, il vaut mieux faire du sport. - Je disais la mëme chose á Domarochinier tout á l'heure. Mais ce n'est pas une histoire de peur, vous faites erreur. Il fallait mettre de l'ordre dans les cavalcades des groupes de recherche. Puisque ils courent tous comme úa, autant que ce soit pour quelque chose... - Et qui a eu cette idêe? Domarochinier! Il ne perd pas le nord. Il sait y faire! - Úa ne sert á rien pourtant de les faire courir en caleúon. Faire son devoir en caleúon - c'est une chose, c'est honorable. Mais faire des compêtitions en caleúon, c'est pour moi une erreur organisationnelle typique. Je vais êcrire á ce sujet á... Perets se dêgagea de la foule et remonta en chancelant la rue encombrêe. Il avait des nausêes, la poitrine lui faisait mal et il imaginait les autres, dans leurs caisses, êtirant leurs cous de mêtal pour regarder la foule de gens en caleúons avec leurs yeux bandês et s'efforúant vainement de comprendre quel est le lien qui les unit á cette foule et ne pouvant pas le comprendre, alors que ce qui leur sert de sources de patience est sur le point de se tarir... Il n'y avait pas de lumiére dans le cottage de Kim ; á l'intêrieur, un nourrisson pleurait. On avait clouê des planches sur la porte de l'hætel et derriére les fenëtres sombres quelqu'un marchait avec une lanterne sourde. Perets aperúut aux fenëtres du premier êtage des visages blëmes prêcautionneusement tournês vers l'extêrieur. Les portes de la bibliothéque s'ouvraient sur un canon au tube d'une longueur dêmesurêe terminê par un large frein de bouche tandis que de l'autre cætê de la rue un hangar finissait de brùler, et l'on voyait, êclairês par les flammes pourpres du foyer, des gens en masques de carton qui promenaient des dêtecteurs de mines sur les lieux de l'incendie. Perets se dirigea vers le parc. Mais dans une ruelle sombre une femme s'approcha de lui, le prit par la main et l'entraïna. Perets ne rêsista pas, tout lui êtait êgal. Elle êtait toute vëtue de noir, sa main êtait tiéde et douce et son visage blanc luisait faiblement dans l'obscuritê. "Alevtina, pensa Perets. Elle a attendu son heure, pensa-t-il avec une impudence non dissimulêe. Et alors? Elle attendait. Je ne comprends pas pourquoi, je ne comprends pas en êchange de quoi je me suis rendu á elle, mais c'est moi qu'elle attendait..." Ils entrérent dans la maison, Alevtina alluma la lumiére et dit : - Il y a longtemps que je t'attendais ici. - Je sais, dit-il. - Et pourquoi passais-tu sans t'arrëter? "Oui, pourquoi au fait? pensa-t-il. Sans doute parce que úa m'êtait êgal." - Úa m'êtait êgal, dit-il. - Bon, ce ne fait rien. Assieds-toi, je vais m'occuper de tout. Il s'assit sur le bord d'une chaise, les mains á plat sur ses genoux et la regarda enlever son ch÷le noir et le pendre á un clou - blanche, pleine, tiéde. Elle s'enfonúa dans la maison ; un chauffebains á gaz se mit á ronfler et il y eut un bruit d'eau qui coule. Ses pieds lui faisaient trés mal, il leva la jambe et examina la plante de ses pieds nus. Les coussinets êtaient couverts d'un mêlange de sang et de poussiére qui en sêchant avait formê des croùtes noir÷tres. Il se voyait en train de plonger ses pieds dans l'eau brùlante : ce serait d'abord douloureux, puis la douleur disparaïtrait pour faire place á l'apaisement. "Je dormirai aujourd'hui dans la baignoire, pensa-t-il. Et elle viendra ajouter de l'eau chaude si elle veut." - Viens ici, appela Alevina. Il se leva pêniblement, avec l'impression que tous ses os craquaient douloureusement, boitilla sur le tapis rouge jusqu'á la porte du couloir, puis sur le tapis noir et blanc du couloir jusqu'au renfoncement oý s'ouvrait la porte de la salle de bains avec ses faðences êtincelantes, le ronflement affairê de la flamme bleu du chauffe-bains á gaz et Alevina qui, penchêe au-dessus de la baignoire, rêpandait dans l'eau une poudre fine. Pendant qu'il se dêshabillait, arrachant son linge raidi par la boue, elle agita l'eau et un manteau de mousse monta á la surface, dêborda de la baignoire, et il se plongea dans la mousse neigeuse, fermant les yeux de plaisir et de douleur, tandis qu'Alevtina assise sur le rebord de la baignoire le regardait, un sourire caressant au coin des lévres, si bonne, si accueillante - et il n'avait pas êtê une seule fois question de papiers... Elle lui lavait la tëte et lui, crachotant et s'êbrouant, se disait que ses mains êtaient aussi fortes et habiles que celles de sa mére - et elle devait êvidemment savoir faire aussi bien la cuisine... Puis elle lui demanda : "Je te frotte le dos?" Il se tapota l'oreille de la main pour chasser l'eau et le savon et dit : "Bien sùr, naturellement!" Elle lui passa sur le dos un gant de filasse rëche et ouvrit le robinet de la douche. - Attends, dit-il, je veux rester encore un peu comme úa. Je vais vider l'eau, en mettre de la propre et je resterai allongê, avec toi assise á cætê. S'il te plaït. Elle arrëta la douche, sortit un moment et revint avec un tabouret. - On est bien! dit-il. Tu sais, jamais encore je n'avais êtê aussi bien. - Tu vois, dit-elle en souriant. Et tu ne voulais jamais. - Comment pouvais-je savoir? - Et pourquoi est-ce que tu veux toujours tout savoir d'avance? Tu aurais pu seulement essayer. Qu'est-ce que tu y aurais perdu? Tu es mariê? - Je ne sais pas, dit-il. Maintenant, je crois que non. - C'est bien ce que je pensais. Evidemment, tu l'aimais beaucoup? Comment êtait-elle? - Comment êtait-elle... Elle n'avait peur de rien. Elle êtait bonne. Nous rëvions souvent de la forët. - De quelle forët? - Comment, de quelle forët? Il n'y a qu'une forët. - La nætre, tu veux dire? - Elle n'est pas á vous. Elle existe pour ellemëme. D'ailleurs en rêalitê elle est peut-ëtre á nous. Mais c'est difficile de se le reprêsenter. - Je n'ai jamais êtê dans la forët, dit Alevtina. On dit que c'est effrayant. - Ce qu'on ne comprend pas est toujours effrayant. Il faudrait commencer par apprendre á ne pas avoir peur de ce qu'on ne comprend pas. Alors tout serait simple. - Moi je crois simplement qu'il ne faut pas se raconter d'histoires. Si on se racontait un peu moins d'histoires, il n'y aurait rien d'incomprêhensible. Et toi, Pertchik, tu n'arrëtes pas de te raconter des histoires. - Et la forët? - Quoi, la forët? Je n'y suis pas allêe, mais si j'y allais je ne crois pas que je serais particuliérement perdue. Lá oý il y a la forët, il y a des sentiers, lá oý il y a des sentiers, il y a des gens et on peut toujours s'entendre avec les gens. - Et s'il n'y a personne? - S'il n'y a personne, il n'y a rien á y faire. Il faut s'en tenir aux gens. Avec des gens, rien n'est jamais perdu. - Non, dit Perets. Ce n'est pas si simple. Avec les gens, moi je suis perdu. Je ne comprends rien avec les gens. - Mon Dieu, mais qu'est-ce que tu ne comprends pas, par exemple? - Je ne comprends rien. C'est pour úa, entre autres, que j'ai commencê á rëver á la forët. Mais maintenant je vois que ce n'est pas plus facile dans la forët. Elle secoua la tëte. - Quel enfant tu es encore, dit-elle. Tu ne veux absolument pas comprendre qu'il n'y a rien d'autre sur terre que l'amour, la nourriture et l'orgueil. Evidemment tout est embrouillê comme une pelote, mais quel que soit le fil que tu tires, tu arrives toujours ou á l'amour, ou au pouvoir, ou á la nourriture... - Non, dit Perets. Je ne le veux pas. - Mon pauvre chêri, dit-elle doucement. Mais qui ira te demander si tu veux ou si tu ne veux pas... A moins que je ne te le demande : Qu'es-tu, Pertchik, á t'agiter ainsi, que te faut-il? - Je crois que maintenant il ne me faut plus rien, dit Perets. Seulement dêcamper d'ici et me faire archiviste... ou restaurateur. Voilá tous mes dêsirs. Elle secoua á nouveau la tëte - Je ne crois pas. Tu es beaucoup trop compliquê. Il te faut trouver quelque chose de plus simple. Il ne rêpliqua pas et elle se leva. - Voilá une serviette. Je t'ai mis du linge lá. Sors et on prendra du thê. Du thê et de la confiture de framboise, et tu iras dormir. Perets avait dêjá vidê l'eau et, debout dans la baignoire, se sêchait avec une grande serviette êponge quand il entendit un tintement de vitres et l'êcho lointain d'un coup sourd. Il se souvint alors du dêpæt de matêriel, de Jeanne, la poupêe stupide hystêrique et cria : - Qu'est-ce que c'est? Oý? - C'est la machine qui a explosê, rêpondit Alevtina. Ne crains rien. - Oý? Oý a-t-elle explosê? Au dêpæt? Alevtina resta quelques instants silencieuse, apparemment elle regardait par la fenëtre. - Non, dit-elle enfin. Pourquoi au dêpæt? Dans le parc... Il y a de la fumêe... Et ils courent tous, ils courent... VI On ne voyait pas la forët. A sa place, sous la falaise, des nuages s'êtendaient en une couche dense jusqu'á l'horizon. On aurait dit un champ de glace enneigê : des banquises, des dunes de neige, des trouêes et de crevasses cachant un abïme sans fond : celui qui sauterait du haut de la falaise ne serait pas arrëtê par la terre, par le marêcage tiéde ou les branches tendues des arbres, mais par la glace dure, êtincelante sous le soleil matinal, couverte d'une pellicule de neige séche et poudreuse, et il resterait êtendu sur la glace, plat, immobile et noir sous le soleil. On aurait dit aussi une vieille couverture blanche, soigneusement nettoyêe, qui aurait êtê jetêe par-dessus la cime des arbres. Perets chercha autour de lui, trouva un caillou, le fit sauter d'une paume á l'autre et se dit que le bord de l'á-pic êtait vraiment un coin de rëve : d'ici l'Administration ne se faisait pas sentir, il y avait ici des cailloux, des buissons sauvages et piquants, de l'herbe vierge brùlêe par le soleil, et mëme un oiseau qui se permettait de gazouiller, il fallait seulement êviter de regarder vers la droite, vers les luxueuses latrines á quatre fenëtres qui, suspendues au-dessus du gouffre, exposaient insolemment au soleil leur peinture toute fraïche. Il est vrai qu'elles êtaient assez loin et on pouvait, si on le voulait, se forcer á imaginer que c'êtait un kiosque ou quelque pavillon scientifique, mais il aurait tout de mëme mieux valu qu'elles ne soient pas lá. C'est peut-ëtre á cause de ces latrines toutes neuves, êdifiêes au cours de la nuit agitêe qui avait prêcêdê, que la forët se dissimulait derriére les nuages. Mais c'êtait peu probable. La forët ne se serait pas emmitouflêe jusqu'á l'horizon pour une telle bagatelle, les hommes ne pouvaient pas lui faire un tel effet. "En tout cas, pensa Perets, je pourrai venir ici chaque matin. Je ferai tout ce qu'on me dira de faire, je ferai des calculs sur la " mercedes " abïmêe, je franchirai la zone d'assaut, je jouerai aux êchecs avec le manager et j'essaierai mëme d'aimer le kêfir : ce ne doit pas ëtre tellement difficile, puisque la plupart des gens ont rêussi á le faire. Et le soir (et la nuit aussi) j'irai chez Alevtina, je mangerai de la confiture de framboise et je me reposerai dans la baignoire du Directeur. C'est mëme une idêe, pensa-t-il : s'essuyer avec la serviette du Directeur, s'envelopper dans la robe de chambre du Directeur et se chauffer les pieds dans les chaussettes de soie du Directeur. Deux fois par mois j'irai á la station biologique toucher la paye et les primes, pas dans la forët mais á la station, prêcisêment, et mëme pas á la station mais á la caisse, pas pour un rendez-vous avec la forët ni pour faire la guerre á la forët, mais pour la paye et les primes. Et le matin, de bonne heure, je viendrai ici pour regarder de loin la forët et pour lui jeter des cailloux." Derriére lui les buissons s'êcartérent bruyamment. Perets se retourna avec circonspection : ce n'êtait pas le Directeur, mais encore et toujours Domarochinier. Il tenait á la main une êpaisse chemise et il s'arrëta á quelque distance, abaissant vers Perets un regard humide. Il savait manifestement quelque chose, quelque chose d'important et il avait apportê ici, au bord de l'á-pic, cette êtrange et angoissante nouvelle que personne au monde d'autre que lui ne connaissait, et il êtait manifeste que tout ce qui avait cours auparavant n'avait maintenant plus de sens et que chacun devrait donner tout ce dont il êtait capable. - Bonjour, dit-il en s'inclinant et en tendant la chemise á Perets. Vous avez bien dormi? - Bonjour, dit Perets. Merci. - L'humiditê est aujourd'hui de soixante-seize pour cent, dit Domarochinier. Tempêrature : dixsept degrês. Vent nul. Nêbulositê : zêro. (Il s'avanúa sans bruit, les mains sur la couture du pantalon, inclina son corps vers Perets et annonúa.) Le double-vê est ce matin êgal á seize... - Quel double-vê? demanda Perets en se levant. - Le nombre de taches, dit trés vite Domarochinier, le regard fuyant. Sur le soleil, sur le s-s-s... Il se tut, regardant fixement Perets en face. - Et pourquoi me dites-vous úa? demanda Perets d'un ton hostile. - Je vous demande pardon, dit h÷tivement Domarochinier. Cela ne se reproduira plus. Donc il n'y a que l'humiditê, la nêbulositê, le vent... hmm... et... Vous ne voulez pas non plus que je vous fasse de rapport sur les opposants? - Ecoutez, dit Perets, maussade. Que voulez-vous de moi? Domarochinier fit deux pas en arriére et inclina la tëte. - Je vous demande pardon, dit-il. Il est possible que je vous aie ennuyê, mais il y a quelques papiers qui nêcessitent... sans retard, pour ainsi dire... que vous personnellement... (Il tendit á Perets la chemise, comme un plateau vide.) Voulez-vous que je fasse mon rapport? - Vous savez... dit Perets sur un ton menaúant. - Oui-oui? dit Domarochinier. Sans l÷cher la chemise, il se mit á fouiller fêbrilement ses poches, comme s'il cherchait un calepin. Son visage êtait devenu bleu d'empressement. "L'imbêcile, le fichu imbêcile, pensa Perets en essayant de se dominer. Qu'est-ce qui lui prend?" - C'est stupide, dit-il aussi calmement qu'il le pouvait. Vous comprenez? C'est stupide et úa n'a rien d'amusant. - Oui-oui, dit Domarochinier. (Courbê, serrant la chemise entre son coude et sa hanche, il griffonnait dêsespêrêment des mots sur son bloc-notes.) Une seconde... Oui-oui? - Qu'est-ce que vous êcrivez? demanda Perets. Domarochinier lui jeta an regard apeurê et lut : "Quinze juin... heure : sept quarante-cinq... lieu : au-dessus de l'á-pic..." - Ecoutez, Domarochinier, dit Perets avec colére. Qu'est-ce que vous voulez, une fois pour toutes? Qu'est-ce que vous avez á me coller au train tout le temps comme úa? Úa suffit, il y en a assez! (Domarochinier êcrivait.) Votre plaisanterie est plutæt stupide, vous n'avez pas á m'espionner. Vous devriez avoir honte, á votre ÷ge. Mais arrëtez d'êcrire, crêtin! C'est vraiment idiot! Vous feriez mieux de faire votre gymnastique; ou de vous laver, regardez un peu á quoi vous ressemblez! Peuh!... Les doigts tremblant de rage, 1 entreprit de boucler les laniéres de ses sandales - C'est vrai, ce qu'on dit de vous, que vous ëtes toujours fourrê partout á noter toutes les conversations. Je croyais que úa faisait partie de vos plaisanteries stupides... Je ne voulais pas le croire, je ne supporte pas ce genre de choses en gênêral, mais vous, vous dêpassez vraiment la mesure... Il se releva et vit Domarochinier figê au garde á vous. Des larmes coulaient sur ses joues. - Mais qu'avez-vous aujourd'hui? demanda Perets, alarmê. - Je ne peux pas, bredouilla Domarochinier en sanglotant. - Vous ne pouvez pas quoi? - La gymnastique... Mon foie... un certificat... et me laver... - Seigneur Jêsus, dit Perets. Si vous ne pouvez pas, ne le faites pas, je disais úa simplement... Mais qu'est-ce que vous avez enfin á me suivre? Comprenez-moi, je n'ai rien contre vous, mais c'est extrëmement dêsagrêable... - Úa ne se reproduira pas! s'êcria avec transport Domarochinier. Jamais plus. Les larmes sur ses joues s'êtaient sêchêes en un instant. - Bon, úa suffit, dit Perets, fatiguê, en s'enfonúant á travers les buissons. Domarochinier s'accrochait á ses pas. "Vieux paillasse, pensa Perets. Tarê..." - Trés urgent, bredouillait Domarochinier, le souffle court. Absolument indispensable... Votre attention personnelle... Perets se retourna. - Qu'est-ce que vous fourez, enfin? s'êcria-t-il. Si c'est pour ma valise, rendez-la-moi, oý l'avezvous trouvêe? Domarochinier posa la valise par terre et commenúa á ouvrir la bouche, au bord de l'asphyxie, mais Perets ne le laissa pas parler et saisit la poignêe de la valise. Alors Domarochinier, qui n'avait rien pu dire, se coucha á plat ventre sur la valise. - Rendez-moi ma valise! dit Perets, glacê de fureur. - Pour rien au monde, siffla Domarochinier en raclant le gravier de ses genoux. La chemise le gënait, il la prit entre ses dents et êtreignit la valise entre ses deux bras. Perets tira de toutes ses forces et arracha la poignêe. - Cessez ce scandale! dit-il. Immêdiatement! Domarochinier secoua la tëte et murmura quelque chose. Perets dêboutonna son col et jeta un regard dêsemparê autour de lui. A l'ombre d'un chëne pas trés loin de lá se trouvaient, pour une raison indêterminêe, deux ingênieurs en masques de carton. Interceptant ce regard, ils se redressérent et claquérent les talons. Alors Perets, jetant tout autour de lui des regards de bëte traquêe, enfila prêcipitamment l'allêe qui menait vers la sortie du parc. Il croyait avoir dêjá tout vu, mais cette fois... Ils ont dù se donner le mot, pensait-il fiêvreusement... Il faut courir, courir. Mais courir oý? Il sortit du parc et allait prendre la direction de la cantine quand il trouva á nouveau sur son chemin Domarochinier, un Domarochinier sale et effrayant. Il êtait lá, la valise sur l'êpaule, son visage bleu inondê de larmes, á moins que ce ne fùt d'eau ou de sueur. Ses yeux, voilês par une pellicule blanche, erraient, et il serrait contre sa poitrine la chemise oý ses dents avaient laissê leur empreinte. - Pas ici, je vous en supplie, r÷la-t-il. Dans le bureau... C'est insupportablement urgent... Et par ailleurs les intêrëts de la subordination... Perets fit un êcart pour l'êviter et remonta en courant la rue principale. Les gens sur les trottoirs restaient figês, inclinaient la tëte en roulant des yeux êcarquillês. Un camion qui venait d'en face, se dirigeant vers lui, freina avec un hurlement sauvage, percuta un kiosque á journaux, des gens avec des pelles jaillirent de la caisse et commencérent á se mettre en rangs par deux. Un garde passa au pas de parade en prêsentant les armes... Perets tenta par deux fois de prendre une rue transversale, et trouva á chaque fois Domarochinier sur son chemin. Domarochinier ne pouvait plus parler, il ne faisait que pousser des grognements et des meuglements inarticulês en roulant des yeux suppliants. Perets courut alors vers l'immeuble de l'Administration. "Kim, pensait-il fiêvreusement. Kim ne per mettra pas... A moins que lui aussi?... Je m'enfermerai dans les toilettes... Qu'ils essaient... Je frapperai á coups de pied... maintenant úa m'est êgal..." II fit irruption dans le hall d'entrêe et au mëme moment un orchestre au grand complet entama avec des êclats de cuivres une marche triomphale. Il vit des visages tendus, des yeux êcarquillês, des torses bombês. Domarochinier le rejoignit et se lanúa á sa poursuite dans l'escalier d'honneur, sur les tapis framboise que personne ne se permettait jamais de fouler, á travers des salles inconnues á deux rangêes de fenëtres, devant des gardes en uniforme de parade avec dêcorations pendantes, sur un parquet cirê et glissant, le poursuivit dans l'escalier, vers le troisiéme êtage, dans une galerie de portraits, et á nouveau dans l'escalier, vers le quatriéme êtage, devant une haie de jeunes filles fardêes et figêes comme des mannequins et, enfin l'accula dans une sorte de somptueuse impasse êclairêe par des lampes lumiére du jour. Au bout, se trouvait une gigantesque porte revëtue de cuir qui portait la plaquette "Directeur". Il êtait impossible d'aller plus loin. Domarochinier le rattrapa, se faufila sous son coude, poussa un r÷le effrayant, un r÷le d'êpileptique, et ouvrit devant lui la porte de cuir. Perets entra, enfonúa ses pieds dans une monstrueuse peau de tigre, enfonúa tout son ëtre dans la pênombre sêvére et autoritaire de portes endeuillêes, dans l'aræme noble du tabac de prix, dans un silence ouatê, dans la sêrênitê grave et mesurêe d'une existence êtrangére. - Bonjour, lanúa-t-il dans le vide, Mais il n'y avait personne derriére l'immense bureau. Personne dans les vastes fauteuils. Et aucun regard ne rencontra le sien, si ce n'est celui du martyr Selivan sur un tableau gêant qui occupait tout le mur de cætê. Derriére lui, Domarochinier laissa lourdement tomber la valise. Perets tressaillit et se retourna. Debout, chancelant, Domarochinier lui prêsentait la chemise comme un plateau vide. Ses yeux êtaient morts, vitreux. Il ne va pas tarder á mourir, pensa Perets. Mais Domarochinier ne mourut pas. - Extraordinairement urgent..., siffla-t-il, á bout de souffle. Sans le visa du Directeur, impossible... personnel... jamais je ne me serais permis... - Quel Directeur? demanda Perets. Un terrible soupúon commenúait á se faire jour dans son esprit. - Vous..., exhala Domarochinier. Sans votre visa... impossible... Perets s'appuya sur la table et, se retenant á la surface polie, la contourna pour gagner le fauteuil qui lui parut ëtre le plus proche. Il se laissa tomber entre les bras de cuir frais et dêcouvrit á sa gauche une batterie de têlêphones multicolores, á sa droite des volumes reliês gravês á l'or, devant lui un encrier monumental reprêsentant Tannhaùser et Vênus et au-dessus de lui les yeux blancs et implorants de Domarochinier et la chemise tendue. Il êtreignit les accoudoirs et pensa : "Ah! c'est comme úa? Bande de fripouilles, de salauds, d'esclaves... c'est comme úa, hein? Racaille, larbins, faces de carton... trés bien, puisque c'est comme úa..." - Cessez d'agiter cette chemise au-dessus de la table, dit-il sêvérement. Donnez-la ici. Le bureau s'anima, des ombres passérent, un petit tourbillon se forma et Domarochinier se trouva á ses cætês, un peu en retrait derriére son êpaule gauche. La chemise posêe sur la table parut s'ouvrir toute seule, dêcouvrant des feuilles de beau papier sur lesquelles il lut, imprimê en capitales, le mot : "PROJET". - Je vous remercie, dit-il sêvérement. Vous pouvez aller. Il y eut á nouveau un tourbillon, une lêgére odeur de sueur s'êleva et disparut, et Domarochinier se trouva á la porte, en train de sortir á reculons, le corps inclinê en avant pour saluer, les mains sur la couture du pantalon - effrayant, pitoyable et prët á tout. - Un instant, dit Perets. Domarochinier se figea. - Vous pouvez tuer un homme? Domarochinier n'hêsita pas. Il prit un calepin et prononúa : - Je vous êcoute! - Et vous suicider? demanda Perets. - Quoi? demanda Domarochinier. - Allez, dit Perets. Je vous appellerai plus tard. Domarochinier disparut. Perets s'êclaircit la gorge et se passa les mains sur le visage. - Supposons, dit-il á voix haute. Et ensuite? Il vit sur la table un agenda, tourna la page et lut ce qui êtait notê pour la journêe en cours. L'êcriture de l'ancien Directeur le dêúut. Le Directeur êcrivait en grosses lettres bien lisibles, comme un professeur de calligraphie. "Chefs de groupe 9.30. Revue de pieds 10.30. Voir poudre. Essayer kêfir-zêfir. Machinisation. Bobine : qui l'a volêe? Quatre bulldozers!!!" "Au diable les bulldozers, pensa Perets, c'est terminê : plus de bulldozers, plus d'excavateurs, plus de machines á scier de l'Eradication... Ce serait pas mal de castrer Touzik au passage, mais c'est pas possible. Dommage... Et il y a aussi ce dêpæt de machines. Je le ferai sauter, dêcida-t-il. Il imagina l'Administration, vue d'en haut, et comprit qu'il y avait beaucoup de choses á faire sauter. Beaucoup trop... N'importe quel imbêcile peut faire sauter des choses", se dit-il. Il ouvrit le tiroir du milieu et vit des piles de papier, des crayons usês, deux odontométres de philatêliste et par-dessus le tout une patte d'êpaule de gênêral dorêe. Une seule. Il chercha la seconde, en retournant les feuilles de papier, se piqua le doigt á une punaise et trouva le trousseau de clefs du coffre-fort. Le coffre se trouvait dans un coin êloignê, c'êtait un coffre trés êtrange, dêguisê en desserte. Perets se leva et traversa le bureau pour gagner le coffre, remarquant au passage de nombreuses bizarreries qu'il n'avait pas remarquêes au premier abord. Sous une fenëtre se trouvait une crosse de hockey, flanquêe d'une bêquille et d'une jambe artificielle chaussêe d'un bottillon et munie d'un patin á glace rouillê. Tout au fond du bureau s'ouvrait une autre porte barrêe par une corde sur laquelle êtaient pendus des slips noirs et quelques chaussettes, dont certaines êtaient trouêes. Sur la porte elle-mëme, une plaquette de mêtal noirci qui portait l'inscription gravêe "BETAIL". Sur l'appui de la fenëtre, á demi cachê par un rideau, un petit aquarium rempli d'une eau claire et transparente abritait des algues multicolores au milieu desquelles un axolotl gras et noir remuait rythmiquement ses ouðes branchues. Et derriére le tableau qui reprêsentait l'exploit de Selivan êmergeait un somptueux b÷ton de chef d'orchestre, avec des queues de cheval... Perets s'affaira auprés du coffre, mit un certain temps á trouver les bonnes clefs et parvint finalement á ouvrir la lourde porte blindêe. La contre-porte êtait tapissêe de photos lêgéres dêcoupêes dans des revues pour hommes, mais le coffre êtait presque vide. Perets y trouva un pince-nez dont le verre gauche êtait cassê, une casquette chiffonnêe ornêe d'une cocarde êtrange, et la photographie d'une famille inconnue (le pére - arborant un rictus qui dêcouvrait toutes ses dents, la mére - la bouche en cul de poule, et deux enfants en uniforme de Cadets). Il y avait aussi un parabellum bien astiquê, soigneusement entretenu, avec une seule balle dans le canon, une autre patte d'êpaule de gênêral et une croix de fer avec des feuilles de chëne. Le coffre contenait encore une pile de chemises, toutes vides, á l'exception de la derniére, tout en bas de la pile, oý se trouvait le brouillon d'une note de service qui envisageait les sanctions á prendre contre le chauffeur Touzik pour nonfrêquentation systêmatique du musêe historique de l'Administration. "Bien fait pour lui, la crapule, marmonna Perets. Il ne va mëme pas au musêe... Il va falloir donner suite á cette affaire..." "Touzik, toujours Touzik, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Il n'est tout de mëme pas le nombril du monde, non? Enfin, en un sens... Kêfiromane, coureur rêpugnant, glandouilleur systêmatique... d'ailleurs tous les chauffeurs sont des glandouilleurs... non, il faut que úa cesse : le kêfir, la partie d'êchecs pendant les heures de travail. Et Kim, qu'est-ce qu'il peut bien calculer sur la " mercedes " qui dêraille? - A moins que ce ne soit justement ce qu'il faut, des espéces de processus stochastiques... Ecoute, Perets, tu ne sais vraiment pas grand-chose. Tout le monde travaille. Il n'y a presque pas de tire-au-flanc. Ils travaillent la nuit, ils sont tous occupês, personne n'a de temps. Les notes de service sont observêes, je le sais, j'en ai fait l'expêrience. Apparemment, tout va bien : les gardiens gardent, les conducteurs conduisent, les ingênieurs construisent, les chercheurs êcrivent des articles, les caissiers distribuent de l'argent... Ecoute, Perets, pensa-t-il, peut-ëtre qu'aprés tout ce manége n'existe que pour que tout le monde travaille? Un bon mêcanicien rêpare une voiture en deux heures. Et aprés? Les vingt-deux heures restantes? Et si en plus les voitures sont conduites par des travailleurs expêrimentês qui ne les abïment pas? La solution s'impose d'elle-mëme : mettre le bon mêcanicien aux cuisines, et les cuisiniers á la mêcanique. Il ne s'agit pas seulement de remplir vingt-deux heures - vingt-deux ans. Non, il y a une certaine logique lá-dedans. Tout le monde travaille, tout le monde fait son devoir d'homme... pas comme de vulgaires singes... Et ils acquiérent des spêcialitês nouvelles... Finalement il n'y a aucune logique lá-dedans, c'est le g÷chis complet, pas de la logique... Seigneur, je suis lá á rester plantê comme un piquet et ils salissent la forët, ils la dêtruisent, ils la transforment en parc. Il faut faire quelque chose au plus vite, maintenant je rêponds de chaque hectare, de chaque chiot, de chaque ondine, maintenant je rêponds de tout..." II commenúa á s'agiter, referma tant bien que mal le coffre, se prêcipita vers sa table, balaya les chemises de la main et sortit du tiroir une feuille de papier vierge. "II y a ici des milliers de personnes, pensa-t-il. Des traditions êtablies, des modes de relations fixês, ils vont rire de moi... Il se souvint de Domarochinier, suant et pitoyable, et de lui-mëme dans l'antichambre du Directeur. Non, ils ne riront pas. Ils vont pleurer, ils iront se plaindre á ce... á ce M. Ah... Ils vont s'êgorger les uns les autres... Mais pas rire. C'est úa le plus terrible, pensa-t-il. Ils ne savent pas rire, ils ne savent pas ce que c'est et á quoi úa sert. Des hommes, pensa-t-il. De tout petits hommes, des homuncules. Il faut la dêmocratie, la libertê d'opinion, la libertê de protestation et d'invective. Je les rassemblerai tous et je leur dirai : protestez! Protestez et riez... Oui, ils vont protester. Ils protesteront longuement, avec ivresse et avec passion, puisque c'est prescrit. Ils protesteront contre la mauvaise qualitê du kêfir, contre la mauvaise nourriture á la cantine, ils invectiveront avec une passion particuliére le balayeur pour les rues qui n'ont pas êtê balayêes depuis un an, ils injurieront le chauffeur Touzik pour son refus systêmatique de frêquenter les bains, et pendant les entractes ils iront aux latrines sur l'á-pic... Non, je commence á m'embrouiller, pensa-t-il. Il faut procêder par ordre. Qu'est-ce que j'ai actuellement?" II se mit á couvrir une feuille d'une êcriture rapide et illisible : "" Groupe de l'Eradication de la forët, groupe d'Etude de la forët, groupe de la Protection armêe de la forët, groupe d'Aide á la population locale de la forët... " Qu'est-ce qu'il y a encore? Ah! oui. " Groupe de la Pênêtration du gênie ds. for. " Et puis... '' Groupe de la Protection scientifique for. " Voilá, úa a l'air d'ëtre tout. Bon. Et qu'est-ce qu'ils font? C'est bizarre, je ne me suis jamais demandê ce qu'ils faisaient. Il ne m'est mëme jamais venu á l'esprit de me demander ce que faisait l'Administration en gênêral. Comment on pouvait concilier l'Eradication et la Protection de la forët, et en plus aider la population locale... Bon, voilá ce que je vais faire, pensa-t-il. D'abord, plus d'Eradication. Eradiquer l'Eradication. La Pênêtration du gênie aussi, êvidemment. Ou alors qu'ils travaillent en haut, de toute faúon ils n'ont rien á faire en bas. Ils peuvent dêmonter leurs machines, construire une route correcte ou combler ce marais putride... Qu'est-ce qu'il reste alors? Il y a la Protection armêe. Avec leurs chiens loups. Tout de mëme, dans l'ensemble... Il faut tout de mëme protêger la forët. Seulement voilá... (Il êvoqua les tëtes des gardes qu'il connaissait et se mordilla les lévres d'un air dubitatif.) M-oui... Bon, admettons. Et l'Administration, elle sert á quoi alors? Et moi! Dissoudre l'Administration, alors, non?" II se sentit tout d'un coup á la fois joyeux et angoissê. - Mais oui, c'est úa, pensa-t-il. Je peux! Je peux dissoudre tout. Qui est mon juge? Je suis le Directeur, je suis le chef. Une note de service - et terminê!" II entendit alors le bruit de pas lourds. Quelque part tout prés. Les verres du lustre tintérent, les chaussettes qui sêchaient sur la corde se balancérent. Il se leva et s'approcha sur la pointe des pieds de la petite porte qui se trouvait au fond de la piéce. Derriére, quelqu'un marchait d'un pas inêgal, comme titubant, mais on n'entendait rien d'autre, et il n'y avait mëme pas un trou de serrure sur la porte, pour y coller l'oeil. Perets pesa doucement sur la poignêe, mais la porte ne cêda pas. Il approcha les lévres de la fente et demanda á haute voix : "Qui est lá?" Personne ne rêpondit, mais les pas ne cessérent pas, comme s'il y avait eu un ivrogne dehors en train de zigzaguer. Perets manipula encore une fois la poignêe, haussa les êpaules et revint á sa place. "Dans l'ensemble, le pouvoir a ses avantages, pensa-t-il. Je ne vais êvidemment pas dissoudre l'Administration, ce serait idiot, pourquoi dissoudre une organisation toute prëte, bien huilêe? Il faut simplement la remettre dans le droit chemin, l'appliquer á quelque chose de sêrieux. Cesser d'envahir la forët, renforcer au contraire son êtude prudente, essayer de se mettre en rapport avec elle, d'apprendre á son contact... Ils ne comprennent mëme pas ce que c'est que la forët. La forët! Pour eux c'est du bois d'abattage... Leur apprendre á aimer la forët, á la respecter, á vivre la vie qu'elle vit... Non, il y a beaucoup de travail. Du travail vêritable, du travail sêrieux. Et il se trouvera des gens - Kim, Stoðan, Rita.. Et pourquoi pas le manager?... Alevtina... Et finalement ce Ah, aussi, c'est un personnage, il est pas bëte, mais il a rien de sêrieux á faire... Je leur en ferai voir, pensat-il tout joyeux. Ils ont pas fini d'en voir! Bon, et maintenant, oý en sont les affaires courantes? Il attira le dossier á lui. La premiére page êtait ainsi rêdigêe : PROJET DE DIRECTIVE POUR L'INSTAURATION DE L'ORDRE 1. Au cours de l'annêe êcoulêe, l'Administration de la forët a substantiellement amêliorê son travail et a atteint des indices êlevês dans tous les domaines de son activitê. Des centaines d'hectares de territoire forestier ont êtê conquis, êtudiês, amênagês et placês sous la sauvegarde de la Protection scientifique et armêe. La maïtrise des spêcialistes et des travailleurs du rang croït de jour en jour. L'organisation s'amêliore, les dêpenses improductives diminuent. Les barriéres bureaucratiques et autres obstacles extraproductifs sont levês les uns aprés les autres. 2. Cependant, á cætê des rêalisations effectuêes, l'action nêfaste de la deuxiéme loi de la thermodynamique ainsi que de la loi des grands nombres continue á s'exercer, abaissant quelque peu le niveau êlevê des indices. Notre t÷che la plus urgente rêside maintenant dans la suppression des faits de hasard qui engendrent le chaos, troublent le rythme commun et provoquent une baisse des cadences. 3. Compte tenu de ce qui prêcéde, il est proposê de considêrer á l'avenir toute manifestation de faits de hasard comme contraire aux lois et contredisant l'idêal d'organisation, et l'implication dans des faits de hasard (probabilisme) comme un acte criminel on, si l'implication dans des faits de hasard (probabilisme) n'entraïne pas de consêquences graves, comme une trés sêrieuse violation de la discipline du travail et de la production. 4. La culpabilitê des personnes impliquêes dans des faits de hasard (activitês probabilistiques) est dêfinie et mesurêe par les articles du Code criminel N 62, 64, 65 (á l'exclusion des par. S et 0), 113 et 192 par. K ou §§ du Code administratif 12, 15 et 97. NOTA : L'issue mortelle d'une implication dans un fait de hasard (probabilisme) n'a pas en tant que telle valeur de circonstance disculpante ou attênuante. La condamnation ou la sanction sera dans ce cas prononcêe á titre posthume. 5. La prêsente directive prend effet á partir du... mois... jour... annêe. Elle n'a pas d'effet rêtroactif. Signê : Le Directeur de l'Administration. (...) Perets passa sa langue sur ses lévres séches et tourna la page. Sur la suivante se trouvait une note de service concernant la mise en jugement de l'employê Kh. du groupe de la Protection scientifique. Item, conformêment á la directive sur < l'instauration de l'ordre" "pour indulgence prêmêditêe pour la loi des grands nombres s'êtant traduite par une glissade sur la glace avec lêsion concomitante de l'articulation tibia-tarsienne, laquelle implication criminelle dans un fait de hasard (probabilisme) a eu lieu le 11 mars de l'annêe en cours", il est proposê que l'employê Kh soit dêsormais dêsignê sur tous documents sous le nom de probabiliste Kh. Item... Perets claqua des dents et regarda le feuillet suivant. C'êtait aussi une note de service concernant l'application d'une peine d'amende administrative correspondant á quatre mois de salaire au maïtre de chiens G. de Montmorency du groupe de la Protection armêe "pour s'ëtre imprudemment permis d'ëtre frappê par une dêcharge atmosphêrique (foudre)". Suivaient des prescriptions concernant les congês, des demandes d'allocation exceptionnelle en raison de la perte du soutien de famille et une note explicative d'un certain J. Lumbago á propos de la disparition d'une bobine... - Qu'est-ce que c'est que ce fourbi, dit Perets á haute voix. Il êtait en nage. Le projet êtait tapê sur du papier couchê á tranche dorêe. "II faudrait que j'en parle á quelqu'un, ou je vais m'y perdre", pensa-t-il. Lá-dessus la porte s'ouvrit et Alevtina pênêtra dans le bureau, poussant devant elle une table á roulettes. Elle êtait habillêe avec une êlêgance recherchêe et une expression sêrieuse et austére êtait peinte sur son visage soigneusement maquillê. - Votre petit dêjeuner, dit-elle d'une voix apprëtêe. - Fermez la porte et venez ici, dit Perets. Elle ferma la porte, repoussa du pied la petite table, lissa ses cheveux et s'avanúa vers Perets. - Alors, poussin? dit-elle avec un sourire. Tu es content maintenant? - Regarde, dit Perets. Encore des bëtises! Lis un peu. Elle s'assit sur l'accoudoir, passa autour du cou de Perets un bras gauche nu et prit la directive de sa main droite nue. - Je ne sais pas, dit-elle. Tout est correct. Qu'y a-t-il? Tu veux peut-ëtre que je t'apporte le Code criminel? Le Directeur prêcêdent lui aussi n'avait pas compris un seul article. - Mais non, attends un peu, dit Perets avec humeur. Le Code, qu'est-ce que tu veux que je fasse du Code? Tu as lu? - Je l'ai lu, et je l'ai mëme tapê. Et j'ai corrigê le style. Domarochinier ne sait pas êcrire, et c'est seulement ici qu'il a appris á lire... A propos, poussin, Domarochinier attend dans l'antichambre, tu devrais le recevoir pendant le dêjeuner, il aime úa. Il te fera des tartines... - Mais je me fous de Domarochinier! dit Perets. Explique-moi plutæt ce que je... - Il ne faut pas se foutre de Domarochinier, rêpliqua Alevtina. Tu ne comprends encore rien, poussin, tu ne