le a sa louange, il n'hjsita point une seconde. Se tournant donc vers Athos et ses amis : " Messieurs, dit-il, je reprendrai, s'il vous plaot, quelque chose a vos paroles. Vous avez dit que vous n'jtiez que trois, mais il me semble, a moi, que nous sommes quatre. -- Mais vous n'ktes pas des nftres, dit Porthos. -- C'est vrai, rjpondit d'Artagnan ; je n'ai pas l'habit, mais j'ai l'vme. Mon coeur est mousquetaire, je le sens bien, Monsieur, et cela m'entraone. -- Ecartez-vous, jeune homme, cria Jussac, qui sans doute a ses gestes et a l'expression de son visage avait devinj le dessein de d'Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez votre peau ; allez vite. " D'Artagnan ne bougea point. " Djcidjment vous ktes un joli garzon, dit Athos en serrant la main du jeune homme. -- Allons ! allons ! prenons un parti, reprit Jussac. -- Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose. -- Monsieur est plein de gjnjrositj " , dit Athos. Mais tous trois pensaient a la jeunesse de d'Artagnan et redoutaient son inexpjrience. " Nous ne serons que trois, dont un blessj, plus un enfant, reprit Athos, et l'on n'en dira pas moins que nous jtions quatre hommes. -- Oui, mais reculer ! dit Porthos. -- C'est difficile " , reprit Athos. D'Artagnan comprit leur irrjsolution. " Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur l'honneur que je ne veux pas m'en aller d'ici si nous sommes vaincus. -- Comment vous appelle-t-on, mon brave ? dit Athos. -- D'Artagnan, Monsieur. -- Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan, en avant ! cria Athos. -- Eh bien, voyons, Messieurs, vous djcidez-vous a vous djcider ? cria pour la troisiime fois Jussac. -- C'est fait, Messieurs, dit Athos. -- Et quel parti prenez-vous ? demanda Jussac. -- Nous allons avoir l'honneur de vous charger, rjpondit Aramis en levant son chapeau d'une main et tirant son jpje de l'autre. -- Ah ! vous rjsistez ! s'jcria Jussac. -- Sangdieu ! cela vous jtonne ? " Et les neuf combattants se prjcipitirent les uns sur les autres avec une furie qui n'excluait pas une certaine mjthode. Athos prit un certain Cahusac, favori du cardinal ; Porthos eut Biscarat, et Aramis se vit en face de deux adversaires. Quant a d'Artagnan, il se trouva lancj contre Jussac lui-mkme. Le coeur du jeune Gascon battait a lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! il n'en avait pas l'ombre, mais d'jmulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac jtait, comme on le disait alors, friand de la lame, et avait fort pratiquj ; cependant il avait toutes les peines du monde a se djfendre contre un adversaire qui, agile et bondissant, s'jcartait a tout moment des rigles rezues, attaquant de tous cftjs a la fois, et tout cela en parant en homme qui a le plus grand respect pour son jpiderme. Enfin cette lutte finit par faire perdre patience a Jussac. Furieux d'ktre tenu en jchec par celui qu'il avait regardj comme un enfant, il s'jchauffa et commenza a faire des fautes. D'Artagnan, qui, a djfaut de la pratique, avait une profonde thjorie, redoubla d'agilitj. Jussac, voulant en finir, porta un coup terrible a son adversaire en se fendant a fond ; mais celui-ci para prime, et tandis que Jussac se relevait, se glissant comme un serpent sous son fer, il lui passa son jpje au travers du corps. Jussac tomba comme une masse. D'Artagnan jeta alors un coup d'oeil inquiet et rapide sur le champ de bataille. Aramis avait djja tuj un de ses adversaires ; mais l'autre le pressait vivement. Cependant Aramis jtait en bonne situation et pouvait encore se djfendre. Biscarat et Porthos venaient de faire coup fourrj : Porthos avait rezu un coup d'jpje au travers du bras, et Biscarat au travers de la cuisse. Mais comme ni l'une ni l'autre des deux blessures n'jtait grave, ils ne s'en escrimaient qu'avec plus d'acharnement. Athos, blessj de nouveau par Cahusac, pvlissait a vue d'oeil, mais il ne reculait pas d'une semelle : il avait seulement changj son jpje de main, et se battait de la main gauche. D'Artagnan, selon les lois du duel de cette jpoque, pouvait secourir quelqu'un ; pendant qu'il cherchait du regard celui de ses compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d'oeil d'Athos. Ce coup d'oeil jtait d'une jloquence sublime. Athos serait mort plutft que d'appeler au secours ; mais il pouvait regarder, et du regard demander un appui. D'Artagnan le devina, fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahusac en criant : " A moi, Monsieur le garde, je vous tue ! " Cahusac se retourna ; il jtait temps. Athos, que son extrkme courage soutenait seul, tomba sur un genou. " Sangdieu ! criait-il a d'Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme, je vous en prie ; j'ai une vieille affaire a terminer avec lui, quand je serai gujri et bien portant. Djsarmez-le seulement, liez-lui l'jpje. C'est cela. Bien ! tris bien ! " Cette exclamation jtait arrachje a Athos par l'jpje de Cahusac qui sautait a vingt pas de lui. D'Artagnan et Cahusac s'jlancirent ensemble, l'un pour la ressaisir, l'autre pour s'en emparer ; mais d'Artagnan, plus leste, arriva le premier et mit le pied dessus. Cahusac courut a celui des gardes qu'avait tuj Aramis, s'empara de sa rapiire, et voulut revenir a d'Artagnan ; mais sur son chemin il rencontra Athos, qui, pendant cette pause d'un instant que lui avait procurje d'Artagnan, avait repris haleine, et qui, de crainte que d'Artagnan ne lui tuvt son ennemi, voulait recommencer le combat. D'Artagnan comprit que ce serait djsobliger Athos que de ne pas le laisser faire. En effet, quelques secondes apris, Cahusac tomba la gorge traversje d'un coup d'jpje. Au mkme instant, Aramis appuyait son jpje contre la poitrine de son adversaire renversj, et le forzait a demander merci. Restaient Porthos et Biscarat. Porthos faisait mille fanfaronnades, demandant a Biscarat quelle heure il pouvait bien ktre, et lui faisait ses compliments sur la compagnie que venait d'obtenir son frire dans le rjgiment de Navarre ; mais, tout en raillant, il ne gagnait rien. Biscarat jtait un de ces hommes de fer qui ne tombent que morts. Cependant il fallait en finir. Le guet pouvait arriver et prendre tous les combattants, blessjs ou non, royalistes ou cardinalistes. Athos, Aramis et d'Artagnan entourirent Biscarat et le sommirent de se rendre. Quoique seul contre tous, et avec un coup d'jpje qui lui traversait la cuisse, Biscarat voulait tenir ; mais Jussac, qui s'jtait relevj sur son coude, lui cria de se rendre. Biscarat jtait un Gascon comme d'Artagnan ; il fit la sourde oreille et se contenta de rire, et entre deux parades, trouvant le temps de djsigner, du bout de son jpje, une place a terre : " Ici, dit-il, parodiant un verset de la Bible, ici mourra Biscarat, seul de ceux qui sont avec lui. -- Mais ils sont quatre contre toi ; finis-en, je te l'ordonne. -- Ah ! si tu l'ordonnes, c'est autre chose, dit Biscarat, comme tu es mon brigadier, je dois objir. " Et, faisant un bond en arriire, il cassa son jpje sur son genou pour ne pas la rendre, en jeta les morceaux par-dessus le mur du couvent et se croisa les bras en sifflant un air cardinaliste. La bravoure est toujours respectje, mkme dans un ennemi. Les mousquetaires saluirent Biscarat de leurs jpjes et les remirent au fourreau. D'Artagnan en fit autant, puis, aidj de Biscarat, le seul qui fyt restj debout, il porta sous le porche du couvent Jussac, Cahusac et celui des adversaires d'Aramis qui n'jtait que blessj. Le quatriime, comme nous l'avons dit, jtait mort. Puis ils sonnirent la cloche, et, emportant quatre jpjes sur cinq, ils s'acheminirent ivres de joie vers l'hftel de M. de Trjville. On les voyait entrelacjs, tenant toute la largeur de la rue, et accostant chaque mousquetaire qu'ils rencontraient, si bien qu'a la fin ce fut une marche triomphale. Le coeur de d'Artagnan nageait dans l'ivresse, il marchait entre Athos et Porthos en les jtreignant tendrement. " Si je ne suis pas encore mousquetaire, dit-il a ses nouveaux amis en franchissant la porte de l'hftel de M. de Trjville, au moins me voila rezu apprenti, n'est-ce pas ? " CHAPITRE VI. SA MAJESTE LE ROI LOUIS TREIZIEME L'affaire fit grand bruit. M. de Trjville gronda beaucoup tout haut contre ses mousquetaires, et les fjlicita tout bas ; mais comme il n'y avait pas de temps a perdre pour prjvenir le roi, M. de Trjville s'empressa de se rendre au Louvre. Il jtait djja trop tard, le roi jtait enfermj avec le cardinal, et l'on dit a M. de Trjville que le roi travaillait et ne pouvait recevoir en ce moment. Le soir, M. de Trjville vint au jeu du roi. Le roi gagnait, et comme Sa Majestj jtait fort avare, elle jtait d'excellente humeur ; aussi, du plus loin que le roi aperzut Trjville : " Venez ici, Monsieur le capitaine, dit-il, venez que je vous gronde ; savez-vous que Son Eminence est venue me faire des plaintes sur vos mousquetaires, et cela avec une telle jmotion, que ce soir Son Eminence en est malade ? Ah za, mais ce sont des diables a quatre, des gens a pendre, que vos mousquetaires ! -- Non, Sire, rjpondit Trjville, qui vit du premier coup d'oeil comment la chose allait tourner ; non, tout au contraire, ce sont de bonnes crjatures, douces comme des agneaux, et qui n'ont qu'un djsir, je m'en ferais garant : c'est que leur jpje ne sorte du fourreau que pour le service de Votre Majestj. Mais, que voulez-vous, les gardes de M. le cardinal sont sans cesse a leur chercher querelle, et, pour l'honneur mkme du corps, les pauvres jeunes gens sont obligjs de se djfendre. -- Ecoutez M. de Trjville ! dit le roi, jcoutez-le ! ne dirait-on pas qu'il parle d'une communautj religieuse ! En vjritj, mon cher capitaine, j'ai envie de vous fter votre brevet et de le donner a Mlle de Chemerault, a laquelle j'ai promis une abbaye. Mais ne pensez pas que je vous croirai ainsi sur parole. On m'appelle Louis le Juste, Monsieur de Trjville, et tout a l'heure, tout a l'heure nous verrons. -- Ah ! c'est parce que je me fie a cette justice, Sire, que j'attendrai patiemment et tranquillement le bon plaisir de Votre Majestj. -- Attendez donc, Monsieur, attendez donc, dit le roi, je ne vous ferai pas longtemps attendre. " En effet, la chance tournait, et comme le roi commenzait a perdre ce qu'il avait gagnj, il n'jtait pas fvchj de trouver un prjtexte pour faire -- qu'on nous passe cette expression de joueur, dont, nous l'avouons, nous ne connaissons pas l'origine --, pour faire charlemagne. Le roi se leva donc au bout d'un instant, et mettant dans sa poche l'argent qui jtait devant lui et dont la majeure partie venait de son gain : " La Vieuville, dit-il, prenez ma place, il faut que je parle a M. de Trjville pour affaire d'importance. Ah !... j'avais quatre-vingts louis devant moi ; mettez la mkme somme, afin que ceux qui ont perdu n'aient point a se plaindre. La justice avant tout. " Puis, se retournant vers M. de Trjville et marchant avec lui vers l'embrasure d'une fenktre : " Eh bien, Monsieur, continua-t-il, vous dites que ce sont les gardes de l'Eminentissime qui ont jtj chercher querelle a vos mousquetaires ? -- Oui, Sire, comme toujours. -- Et comment la chose est-elle venue, voyons ? car, vous le savez, mon cher capitaine, il faut qu'un juge jcoute les deux parties. -- Ah ! mon Dieu ! de la fazon la plus simple et la plus naturelle. Trois de mes meilleurs soldats, que Votre Majestj connaot de nom et dont elle a plus d'une fois apprjcij le djvouement, et qui ont, je puis l'affirmer au roi, son service fort a coeur ; -- trois de mes meilleurs soldats, dis-je, MM. Athos, Porthos et Aramis, avaient fait une partie de plaisir avec un jeune cadet de Gascogne que je leur avais recommandj le matin mkme. La partie allait avoir lieu a Saint- Germain, je crois, et ils s'jtaient donnj rendez-vous aux Carmes- Deschaux, lorsqu'elle fut troublje par M. de Jussac et MM. Cahusac, Biscarat, et deux autres gardes qui ne venaient certes pas la en si nombreuse compagnie sans mauvaise intention contre les jdits. -- Ah ! ah ! vous m'y faites penser, dit le roi : sans doute, ils venaient pour se battre eux-mkmes. -- Je ne les accuse pas, Sire, mais je laisse Votre Majestj apprjcier ce que peuvent aller faire cinq hommes armjs dans un lieu aussi djsert que le sont les environs du couvent des Carmes. -- Oui, vous avez raison, Trjville, vous avez raison. -- Alors, quand ils ont vu mes mousquetaires, ils ont changj d'idje et ils ont oublij leur haine particuliire pour la haine de corps ; car Votre Majestj n'ignore pas que les mousquetaires, qui sont au roi et rien qu'au roi, sont les ennemis naturels des gardes, qui sont a M. le cardinal. -- Oui, Trjville, oui, dit le roi mjlancoliquement, et c'est bien triste, croyez-moi, de voir ainsi deux partis en France, deux tktes a la royautj ; mais tout cela finira, Trjville, tout cela finira. Vous dites donc que les gardes ont cherchj querelle aux mousquetaires ? -- Je dis qu'il est probable que les choses se sont passjes ainsi, mais je n'en jure pas, Sire. Vous savez combien la vjritj est difficile a connaotre, et a moins d'ktre douj de cet instinct admirable qui a fait nommer Louis XIII le Juste... -- Et vous avez raison, Trjville ; mais ils n'jtaient pas seuls, vos mousquetaires, il y avait avec eux un enfant ? -- Oui, Sire, et un homme blessj, de sorte que trois mousquetaires du roi, dont un blessj, et un enfant, non seulement ont tenu tkte a cinq des plus terribles gardes de M. le cardinal, mais encore en ont portj quatre a terre. -- Mais c'est une victoire, cela ! s'jcria le roi tout rayonnant ; une victoire complite ! -- Oui, Sire, aussi complite que celle du pont de Cj. -- Quatre hommes, dont un blessj, et un enfant, dites-vous ? -- Un jeune homme a peine ; lequel s'est mkme si parfaitement conduit en cette occasion, que je prendrai la libertj de le recommander a Votre Majestj. -- Comment s'appelle-t-il ? -- D'Artagnan, Sire. C'est le fils d'un de mes plus anciens amis ; le fils d'un homme qui a fait avec le roi votre pire, de glorieuse mjmoire, la guerre de partisan. -- Et vous dites qu'il s'est bien conduit, ce jeune homme ? Racontez- moi cela, Trjville ; vous savez que j'aime les rjcits de guerre et de combat. " Et le roi Louis XIII releva fiirement sa moustache en se posant sur la hanche. " Sire, reprit Trjville, comme je vous l'ai dit, M. d'Artagnan est presque un enfant, et comme il n'a pas l'honneur d'ktre mousquetaire, il jtait en habit bourgeois ; les gardes de M. le cardinal, reconnaissant sa grande jeunesse et, de plus, qu'il jtait jtranger au corps, l'invitirent donc a se retirer avant qu'ils attaquassent. -- Alors, vous voyez bien, Trjville, interrompit le roi, que ce sont eux qui ont attaquj. -- C'est juste, Sire : ainsi, plus de doute ; ils le sommirent donc de se retirer ; mais il rjpondit qu'il jtait mousquetaire de coeur et tout a Sa Majestj, qu'ainsi donc il resterait avec Messieurs les mousquetaires. -- Brave jeune homme ! murmura le roi. -- En effet, il demeura avec eux ; et Votre Majestj a la un si ferme champion, que ce fut lui qui donna a Jussac ce terrible coup d'jpje qui met si fort en colire M. le cardinal. -- C'est lui qui a blessj Jussac ? s'jcria le roi ; lui, un enfant ! Ceci, Trjville, c'est impossible. -- C'est comme j'ai l'honneur de le dire a Votre Majestj. -- Jussac, une des premiires lames du royaume ! -- Eh bien, Sire ! il a trouvj son maotre. -- Je veux voir ce jeune homme, Trjville, je veux le voir, et si l'on peut faire quelque chose, Eh bien, nous nous en occuperons. -- Quand Votre Majestj daignera-t-elle le recevoir ? -- Demain a midi, Trjville. -- L'aminerai-je seul ? -- Non, amenez-les-moi tous les quatre ensemble. Je veux les remercier tous a la fois ; les hommes djvoujs sont rares, Trjville, et il faut rjcompenser le djvouement. -- A midi, Sire, nous serons au Louvre. -- Ah ! par le petit escalier, Trjville, par le petit escalier. Il est inutile que le cardinal sache... -- Oui, Sire. -- Vous comprenez, Trjville, un jdit est toujours un jdit ; il est djfendu de se battre, au bout du compte. -- Mais cette rencontre, Sire, sort tout a fait des conditions ordinaires d'un duel : c'est une rixe, et la preuve, c'est qu'ils jtaient cinq gardes du cardinal contre mes trois mousquetaires et M. d'Artagnan. -- C'est juste, dit le roi ; mais n'importe, Trjville, venez toujours par le petit escalier. " Trjville sourit. Mais comme c'jtait djja beaucoup pour lui d'avoir obtenu de cet enfant qu'il se rjvoltvt contre son maotre, il salua respectueusement le roi, et avec son agrjment prit congj de lui. Dis le soir mkme, les trois mousquetaires furent prjvenus de l'honneur qui leur jtait accordj. Comme ils connaissaient depuis longtemps le roi, ils n'en furent pas trop jchauffjs : mais d'Artagnan, avec son imagination gasconne, y vit sa fortune a venir, et passa la nuit a faire des rkves d'or. Aussi, dis huit heures du matin, jtait-il chez Athos. D'Artagnan trouva le mousquetaire tout habillj et prkt a sortir. Comme on n'avait rendez-vous chez le roi qu'a midi, il avait formj le projet, avec Porthos et Aramis, d'aller faire une partie de paume dans un tripot situj tout pris des jcuries du Luxembourg. Athos invita d'Artagnan a les suivre, et malgrj son ignorance de ce jeu, auquel il n'avait jamais jouj, celui-ci accepta, ne sachant que faire de son temps, depuis neuf heures du matin qu'il jtait a peine jusqu'a midi. Les deux mousquetaires jtaient djja arrivjs et pelotaient ensemble. Athos, qui jtait tris fort a tous les exercices du corps, passa avec d'Artagnan du cftj opposj, et leur fit djfi. Mais au premier mouvement qu'il essaya, quoiqu'il jouvt de la main gauche, il comprit que sa blessure jtait encore trop rjcente pour lui permettre un pareil exercice. D'Artagnan resta donc seul, et comme il djclara qu'il jtait trop maladroit pour soutenir une partie en rigle, on continua seulement a s'envoyer des balles sans compter le jeu. Mais une de ces balles, lancje par le poignet herculjen de Porthos, passa si pris du visage de d'Artagnan, qu'il pensa que si, au lieu de passer a cftj, elle eyt donnj dedans, son audience jtait probablement perdue, attendu qu'il lui eyt jtj de toute impossibilitj de se prjsenter chez le roi. Or, comme de cette audience, dans son imagination gasconne, djpendait tout son avenir, il salua poliment Porthos et Aramis, djclarant qu'il ne reprendrait la partie que lorsqu'il serait en jtat de leur tenir tkte, et il s'en revint prendre place pris de la corde et dans la galerie. Malheureusement pour d'Artagnan, parmi les spectateurs se trouvait un garde de Son Eminence, lequel, tout jchauffj encore de la djfaite de ses compagnons, arrivje la veille seulement, s'jtait promis de saisir la premiire occasion de la venger. Il crut donc que cette occasion jtait venue, et s'adressant a son voisin : " Il n'est pas jtonnant, dit-il, que ce jeune homme ait eu peur d'une balle, c'est sans doute un apprenti mousquetaire. " D'Artagnan se retourna comme si un serpent l'eyt mordu, et regarda fixement le garde qui venait de tenir cet insolent propos. " Pardieu ! reprit celui-ci en frisant insolemment, sa moustache, regardez-moi tant que vous voudrez, mon petit Monsieur, j'ai dit ce que j'ai dit. -- Et comme ce que vous avez dit est trop clair pour que vos paroles aient besoin d'explication, rjpondit d'Artagnan a voix basse, je vous prierai de me suivre. -- Et quand cela ? demanda le garde avec le mkme air railleur. -- Tout de suite, s'il vous plaot. -- Et vous savez qui je suis, sans doute ? -- Moi, je l'ignore complitement, et je ne m'en inquiite guire. -- Et vous avez tort, car, si vous saviez mon nom, peut-ktre seriez-vous moins pressj. -- Comment vous appelez-vous ? -- Bernajoux, pour vous servir. -- Eh bien, Monsieur Bernajoux, dit tranquillement d'Artagnan, je vais vous attendre sur la porte. -- Allez, Monsieur, je vous suis. -- Ne vous pressez pas trop, Monsieur, qu'on ne s'aperzoive pas que nous sortons ensemble ; vous comprenez que pour ce que nous allons faire, trop de monde nous gknerait. -- C'est bien " , rjpondit le garde, jtonnj que son nom n'eyt pas produit plus d'effet sur le jeune homme. En effet, le nom de Bernajoux jtait connu de tout le monde, de d'Artagnan seul exceptj, peut-ktre ; car c'jtait un de ceux qui figuraient le plus souvent dans les rixes journaliires que tous les jdits du roi et du cardinal n'avaient pu rjprimer. Porthos et Aramis jtaient si occupjs de leur partie, et Athos les regardait avec tant d'attention, qu'ils ne virent pas mkme sortir leur jeune compagnon, lequel, ainsi qu'il l'avait dit au garde de Son Eminence, s'arrkta sur la porte ; un instant apris, celui-ci descendit a son tour. Comme d'Artagnan n'avait pas de temps a perdre, vu l'audience du roi qui jtait fixje a midi, il jeta les yeux autour de lui, et voyant que la rue jtait djserte : " Ma foi, dit-il a son adversaire, il est bien heureux pour vous, quoique vous vous appeliez Bernajoux, de n'avoir affaire qu'a un apprenti mousquetaire ; cependant, soyez tranquille, je ferai de mon mieux. En garde ! -- Mais, dit celui que d'Artagnan provoquait ainsi, il me semble que le lieu est assez mal choisi, et que nous serions mieux derriire l'abbaye de Saint-Germain ou dans le Prj-aux-Clercs. -- Ce que vous dites est plein de sens, rjpondit d'Artagnan ; malheureusement j'ai peu de temps a moi, ayant un rendez-vous a midi juste. En garde donc, Monsieur, en garde ! " Bernajoux n'jtait pas homme a se faire rjpjter deux fois un pareil compliment. Au mkme instant son jpje brilla a sa main, et il fondit sur son adversaire que, grvce a sa grande jeunesse, il espjrait intimider. Mais d'Artagnan avait fait la veille son apprentissage, et tout frais jmoulu de sa victoire, tout gonflj de sa future faveur, il jtait rjsolu a ne pas reculer d'un pas : aussi les deux fers se trouvirent-ils engagjs jusqu'a la garde, et comme d'Artagnan tenait ferme a sa place, ce fut son adversaire qui fit un pas de retraite. Mais d'Artagnan saisit le moment oshch, dans ce mouvement, le fer de Bernajoux djviait de la ligne, il djgagea, se fendit et toucha son adversaire a l'jpaule. Aussitft d'Artagnan, a son tour, fit un pas de retraite et releva son jpje ; mais Bernajoux lui cria que ce n'jtait rien, et se fendant aveugljment sur lui, il s'enferra de lui-mkme. Cependant, comme il ne tombait pas, comme il ne se djclarait pas vaincu, mais que seulement il rompait du cftj de l'hftel de M. de La Trjmouille au service duquel il avait un parent, d'Artagnan, ignorant lui-mkme la gravitj de la derniire blessure que son adversaire avait rezue, le pressait vivement, et sans doute allait l'achever d'un troisiime coup, lorsque la rumeur qui s'jlevait de la rue s'jtant jtendue jusqu'au jeu de paume, deux des amis du garde, qui l'avaient entendu jchanger quelques paroles avec d'Artagnan et qui l'avaient vu sortir a la suite de ces paroles, se prjcipitirent l'jpje a la main hors du tripot et tombirent sur le vainqueur. Mais aussitft Athos, Porthos et Aramis parurent a leur tour, et au moment oshch les deux gardes attaquaient leur jeune camarade, les forcirent a se retourner. En ce moment, Bernajoux tomba ; et comme les gardes jtaient seulement deux contre quatre, ils se mirent a crier : " A nous, l'hftel de La Trjmouille ! " A ces cris, tout ce qui jtait dans l'hftel sortit, se ruant sur les quatre compagnons, qui de leur cftj se mirent a crier : " A nous, mousquetaires ! " Ce cri jtait ordinairement entendu ; car on savait les mousquetaires ennemis de Son Eminence, et on les aimait pour la haine qu'ils portaient au cardinal. Aussi les gardes des autres compagnies que celles appartenant au duc Rouge, comme l'avait appelj Aramis, prenaient-ils en gjnjral parti dans ces sortes de querelles pour les mousquetaires du roi. De trois gardes de la compagnie de M. des Essarts qui passaient, deux vinrent donc en aide aux quatre compagnons, tandis que l'autre courait a l'hftel de M. de Trjville, criant : " A nous, mousquetaires, a nous ! " Comme d'habitude, l'hftel de M. de Trjville jtait plein de soldats de cette arme, qui accoururent au secours de leurs camarades ; la mklje devint gjnjrale, mais la force jtait aux mousquetaires : les gardes du cardinal et les gens de M. de La Trjmouille se retirirent dans l'hftel, dont ils fermirent les portes assez a temps pour empkcher que leurs ennemis n'y fissent irruption en mkme temps qu'eux. Quant au blessj, il y avait jtj tout d'abord transportj et, comme nous l'avons dit, en fort mauvais jtat. L'agitation jtait a son comble parmi les mousquetaires et leurs allijs, et l'on djlibjrait djja si, pour punir l'insolence qu'avaient eue les domestiques de M. de La Trjmouille de faire une sortie sur les mousquetaires du roi, on ne mettrait pas le feu a son hftel. La proposition en avait jtj faite et accueillie avec enthousiasme, lorsque heureusement onze heures sonnirent ; d'Artagnan et ses compagnons se souvinrent de leur audience, et comme ils eussent regrettj que l'on fot un si beau coup sans eux, ils parvinrent a calmer les tktes. On se contenta donc de jeter quelques pavjs dans les portes, mais les portes rjsistirent : alors on se lassa ; d'ailleurs ceux qui devaient ktre regardjs comme les chefs de l'entreprise avaient depuis un instant quittj le groupe et s'acheminaient vers l'hftel de M. de Trjville, qui les attendait, djja au courant de cette algarade. " Vite, au Louvre, dit-il, au Louvre sans perdre un instant, et tvchons de voir le roi avant qu'il soit prjvenu par le cardinal ; nous lui raconterons la chose comme une suite de l'affaire d'hier, et les deux passeront ensemble. " M. de Trjville, accompagnj des quatre jeunes gens, s'achemina donc vers le Louvre ; mais, au grand jtonnement du capitaine des mousquetaires, on lui annonza que le roi jtait allj courre le cerf dans la forkt de Saint-Germain. M. de Trjville se fit rjpjter deux fois cette nouvelle, et a chaque fois ses compagnons virent son visage se rembrunir. " Est-ce que Sa Majestj, demanda-t-il, avait dis hier le projet de faire cette chasse ? -- Non, Votre Excellence, rjpondit le valet de chambre, c'est le grand veneur qui est venu lui annoncer ce matin qu'on avait djtournj cette nuit un cerf a son intention. Il a d'abord rjpondu qu'il n'irait pas, puis il n'a pas su rjsister au plaisir que lui promettait cette chasse, et apris le doner il est parti. -- Et le roi a-t-il vu le cardinal ? demanda M. de Trjville. -- Selon toute probabilitj, rjpondit le valet de chambre, car j'ai vu ce matin les chevaux au carrosse de Son Eminence, j'ai demandj oshch elle allait, et l'on m'a rjpondu : " A Saint-Germain. " -- Nous sommes prjvenus, dit M. de Trjville, Messieurs, je verrai le roi ce soir ; mais quant a vous, je ne vous conseille pas de vous y hasarder. " L'avis jtait trop raisonnable et surtout venait d'un homme qui connaissait trop bien le roi, pour que les quatre jeunes gens essayassent de le combattre. M. de Trjville les invita donc a rentrer chacun chez eux et a attendre de ses nouvelles. En entrant a son hftel, M. de Trjville songea qu'il fallait prendre date en portant plainte le premier. Il envoya un de ses domestiques chez M. de La Trjmouille avec une lettre dans laquelle il le priait de mettre hors de chez lui le garde de M. le cardinal, et de rjprimander ses gens de l'audace qu'ils avaient eue de faire leur sortie contre les mousquetaires. Mais M. de La Trjmouille, djja prjvenu par son jcuyer dont, comme on le sait, Bernajoux jtait le parent, lui fit rjpondre que ce n'jtait ni a M. de Trjville, ni a ses mousquetaires de se plaindre, mais bien au contraire a lui dont les mousquetaires avaient chargj les gens et voulu bryler l'hftel. Or, comme le djbat entre ces deux seigneurs eyt pu durer longtemps, chacun devant naturellement s'entkter dans son opinion, M. de Trjville avisa un expjdient qui avait pour but de tout terminer : c'jtait d'aller trouver lui-mkme M. de La Trjmouille. Il se rendit donc aussitft a son hftel et se fit annoncer. Les deux seigneurs se saluirent poliment, car, s'il n'y avait pas amitij entre eux, il y avait du moins estime. Tous deux jtaient gens de coeur et d'honneur ; et comme M. de La Trjmouille, protestant, et voyant rarement le roi, n'jtait d'aucun parti, il n'apportait en gjnjral dans ses relations sociales aucune prjvention. Cette fois, njanmoins, son accueil quoique poli fut plus froid que d'habitude. " Monsieur, dit M. de Trjville, nous croyons avoir a nous plaindre chacun l'un de l'autre, et je suis venu moi-mkme pour que nous tirions de compagnie cette affaire au clair. -- Volontiers, rjpondit M. de La Trjmouille ; mais je vous prjviens que je suis bien renseignj, et tout le tort est a vos mousquetaires. -- Vous ktes un homme trop juste et trop raisonnable, Monsieur, dit M. de Trjville, pour ne pas accepter la proposition que je vais faire. -- Faites, Monsieur, j'jcoute. -- Comment se trouve M. Bernajoux, le parent de votre jcuyer ? -- Mais, Monsieur, fort mal. Outre le coup d'jpje qu'il a rezu dans le bras, et qui n'est pas autrement dangereux, il en a encore ramassj un autre qui lui a traversj le poumon, de sorte que le mjdecin en dit de pauvres choses. -- Mais le blessj a-t-il conservj sa connaissance ? -- Parfaitement. -- Parle-t-il ? -- Avec difficultj, mais il parle. -- Eh bien, Monsieur ! rendons-nous pris de lui ; adjurons-le, au nom du Dieu devant lequel il va ktre appelj peut-ktre, de dire la vjritj. Je le prends pour juge dans sa propre cause, Monsieur, et ce qu'il dira je le croirai. " M. de La Trjmouille rjfljchit un instant, puis, comme il jtait difficile de faire une proposition plus raisonnable, il accepta. Tous deux descendirent dans la chambre oshch jtait le blessj. Celui-ci, en voyant entrer ces deux nobles seigneurs qui venaient lui faire visite, essaya de se relever sur son lit, mais il jtait trop faible, et, jpuisj par l'effort qu'il avait fait, il retomba presque sans connaissance. M. de La Trjmouille s'approcha de lui et lui fit respirer des sels qui le rappelirent a la vie. Alors M. de Trjville, ne voulant pas qu'on pyt l'accuser d'avoir influencj le malade, invita M. de La Trjmouille a l'interroger lui-mkme. Ce qu'avait prjvu M. de Trjville arriva. Placj entre la vie et la mort comme l'jtait Bernajoux, il n'eut pas mkme l'idje de taire un instant la vjritj, et il raconta aux deux seigneurs les choses exactement, telles qu'elles s'jtaient passjes. C'jtait tout ce que voulait M. de Trjville ; il souhaita a Bernajoux une prompte convalescence, prit congj de M. de La Trjmouille, rentra a son hftel et fit aussitft prjvenir les quatre amis qu'il les attendait a doner. M. de Trjville recevait fort bonne compagnie, toute anticardinaliste d'ailleurs. On comprend donc que la conversation roula pendant tout le doner sur les deux jchecs que venaient d'jprouver les gardes de Son Eminence. Or, comme d'Artagnan avait jtj le hjros de ces deux journjes, ce fut sur lui que tombirent toutes les fjlicitations, qu'Athos, Porthos et Aramis lui abandonnirent non seulement en bons camarades, mais en hommes qui avaient eu assez souvent leur tour pour qu'ils lui laissassent le sien. Vers six heures, M. de Trjville annonza qu'il jtait tenu d'aller au Louvre ; mais comme l'heure de l'audience accordje par Sa Majestj jtait passje, au lieu de rjclamer l'entrje par le petit escalier, il se plaza avec les quatre jeunes gens dans l'antichambre. Le roi n'jtait pas encore revenu de la chasse. Nos jeunes gens attendaient depuis une demi-heure a peine, mkljs a la foule des courtisans, lorsque toutes les portes s'ouvrirent et qu'on annonza Sa Majestj. A cette annonce, d'Artagnan se sentit frjmir jusqu'a la moelle des os. L'instant qui allait suivre devait, selon toute probabilitj, djcider du reste de sa vie. Aussi ses yeux se fixirent-ils avec angoisse sur la porte par laquelle devait entrer le roi. Louis XIII parut, marchant le premier ; il jtait en costume de chasse, encore tout poudreux, ayant de grandes bottes et tenant un fouet a la main. Au premier coup d'oeil, d'Artagnan jugea que l'esprit du roi jtait a l'orage. Cette disposition, toute visible qu'elle jtait chez Sa Majestj, n'empkcha pas les courtisans de se ranger sur son passage : dans les antichambres royales, mieux vaut encore ktre vu d'un oeil irritj que de n'ktre pas vu du tout. Les trois mousquetaires n'hjsitirent donc pas, et firent un pas en avant, tandis que d'Artagnan au contraire restait cachj derriire eux ; mais quoique le roi connyt personnellement Athos, Porthos et Aramis, il passa devant eux sans les regarder, sans leur parler et comme s'il ne les avait jamais vus. Quant a M. de Trjville, lorsque les yeux du roi s'arrktirent un instant sur lui, il soutint ce regard avec tant de fermetj, que ce fut le roi qui djtourna la vue ; apris quoi, tout en grommelant, Sa Majestj rentra dans son appartement. " Les affaires vont mal, dit Athos en souriant, et nous ne serons pas encore fait chevaliers de l'ordre cette fois-ci. -- Attendez ici dix minutes, dit M. de Trjville ; et si au bout de dix minutes vous ne me voyez pas sortir, retournez a mon hftel : car il sera inutile que vous m'attendiez plus longtemps. " Les quatre jeunes gens attendirent dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes ; et voyant que M. de Trjville ne reparaissait point, ils sortirent fort inquiets de ce qui allait arriver. M. de Trjville jtait entrj hardiment dans le cabinet du roi, et avait trouvj Sa Majestj de tris mjchante humeur, assise sur un fauteuil et battant ses bottes du manche de son fouet, ce qui ne l'avait pas empkchj de lui demander avec le plus grand flegme des nouvelles de sa santj. " Mauvaise, Monsieur, mauvaise, rjpondit le roi, je m'ennuie. " C'jtait en effet la pire maladie de Louis XIII, qui souvent prenait un de ses courtisans, l'attirait a une fenktre et lui disait : " Monsieur un tel, ennuyons-nous ensemble. " " Comment ! Votre Majestj s'ennuie ! dit M. de Trjville. N'a-t-elle donc pas pris aujourd'hui le plaisir de la chasse ? -- Beau plaisir, Monsieur ! Tout djgjnire, sur mon vme, et je ne sais si c'est le gibier qui n'a plus de voie ou les chiens qui n'ont plus de nez. Nous lanzons un cerf dix cors, nous le courons six heures, et quand il est prkt a tenir, quand Saint-Simon met djja le cor a sa bouche pour sonner l'hallali, crac ! toute la meute prend le change et s'emporte sur un daguet. Vous verrez que je serai obligj de renoncer a la chasse a courre comme j'ai renoncj a la chasse au vol. Ah ! je suis un roi bien malheureux, Monsieur de Trjville ! je n'avais plus qu'un gerfaut, et il est mort avant-hier. -- En effet, Sire, je comprends votre djsespoir, et le malheur est grand ; mais il vous reste encore, ce me semble, bon nombre de faucons, d'jperviers et de tiercelets. -- Et pas un homme pour les instruire, les fauconniers s'en vont, il n'y a plus que moi qui connaisse l'art de la vjnerie. Apris moi tout sera dit, et l'on chassera avec des traquenards, des piiges, des trappes. Si j'avais le temps encore de former des jlives ! mais oui, M. le cardinal est la qui ne me laisse pas un instant de repos, qui me parle de l'Espagne, qui me parle de l'Autriche, qui me parle de l'Angleterre ! Ah ! a propos de M. le cardinal, Monsieur de Trjville, je suis mjcontent de vous. " M. de Trjville attendait le roi a cette chute. Il connaissait le roi de longue main ; il avait compris que toutes ses plaintes n'jtaient qu'une prjface, une espice d'excitation pour s'encourager lui-mkme, et que c'jtait oshch il jtait arrivj enfin qu'il en voulait venir. " Et en quoi ai-je jtj assez malheureux pour djplaire a Votre Majestj ? demanda M. de Trjville en feignant le plus profond jtonnement. -- Est-ce ainsi que vous faites votre charge, Monsieur ? continua le roi sans rjpondre directement a la question de M. de Trjville ; est-ce pour cela que je vous ai nommj capitaine de mes mousquetaires, que ceux- ci assassinent un homme, jmeuvent tout un quartier et veulent bryler Paris sans que vous en disiez un mot ? Mais, au reste, continua le roi, sans doute que je me hvte de vous accuser, sans doute que les perturbateurs sont en prison et que vous venez m'annoncer que justice est faite. -- Sire, rjpondit tranquillement M. de Trjville, je viens vous la demander au contraire. -- Et contre qui ? s'jcria le roi. -- Contre les calomniateurs, dit M. de Trjville. -- Ah ! voila qui est nouveau, reprit le roi. N'allez-vous pas dire que vos trois mousquetaires damnjs, Athos, Porthos et Aramis et votre cadet de Bjarn, ne se sont pas jetjs comme des furieux sur le pauvre Bernajoux, et ne l'ont pas maltraitj de telle fazon qu'il est probable qu'il est en train de trjpasser a cette heure ! N'allez-vous pas dire qu'ensuite ils n'ont pas fait le siige de l'hftel du duc de La Trjmouille, et qu'ils n'ont point voulu le bryler ! ce qui n'aurait peut-ktre pas jtj un tris grand malheur en temps de guerre, vu que c'est un nid de huguenots, mais ce qui, en temps de paix, est un fvcheux exemple. Dites, n'allez-vous pas nier tout cela ? -- Et qui vous a fait ce beau rjcit, Sire ? demanda tranquillement M. de Trjville. -- Qui m'a fait ce beau rjcit, Monsieur ! et qui voulez-vous que ce soit, si ce n'est celui qui veille quand je dors, qui travaille quand je m'amuse, qui mine tout au-dedans et au-dehors du royaume, en France comme en Europe ? -- Sa Majestj veut parler de Dieu, sans doute, dit M. de Trjville, car je ne connais que Dieu qui soit si fort au-dessus de Sa Majestj. -- Non Monsieur, je veux parler du soutien de l'Etat, de mon seul serviteur, de mon seul ami, de M. le cardinal. -- Son Eminence n'est pas Sa Saintetj, Sire. -- Qu'entendez-vous par la, Monsieur ? -- Qu'il n'y a que le pape qui soit infaillible, et que cette infaillibilitj ne s'jtend pas aux cardinaux. -- Vous voulez dire qu'il me trompe, vous voulez dire qu'il me trahit. Vous l'accusez alors. Voyons, dites, avouez franchement que vous l'accusez. -- Non, Sire ; mais je dis qu'il se trompe lui-mkme ; je dis qu'il a jtj mal renseignj ; je dis qu'il a eu hvte d'accuser les mousquetaires de Votre Majestj, pour lesquels il est injuste, et qu'il n'a pas jtj puiser ses renseignements aux bonnes sources. -- L'accusation vient de M. de La Trjmouille, du duc lui-mkme. Que rjpondrez-vous a cela ? -- Je pourrais rjpondre, Sire, qu'il est trop intjressj dans la question pour ktre un tjmoin bien impartial ; mais loin de la, Sire, je connais le duc pour un loyal gentilhomme, et je m'en rapporterai a lui, mais a une condition, Sire. -- Laquelle ? -- C'est que Votre Majestj le fera venir, l'interrogera, mais elle-mkme, en tkte a tkte, sans tjmoins, et que je reverrai Votre Majestj aussitft qu'elle aura rezu le duc. -- Oui-da ! f