s sur Son Eminence moins d'influence que les premiires. Des villes importantes donnjes par Henri IV aux huguenots comme places de syretj, il ne restait plus que La Rochelle. Il s'agissait donc de djtruire ce dernier boulevard du calvinisme, levain dangereux, auquel se venaient incessamment mkler des ferments de rjvolte civile ou de guerre jtrangire. Espagnols, Anglais, Italiens mjcontents, aventuriers de toute nation, soldats de fortune de toute secte accouraient au premier appel sous les drapeaux des protestants et s'organisaient comme une vaste association dont les branches divergeaient a loisir sur tous les points de l'Europe. La Rochelle, qui avait pris une nouvelle importance de la ruine des autres villes calvinistes, jtait donc le foyer des dissensions et des ambitions. Il y avait plus, son port jtait la derniire porte ouverte aux Anglais dans le royaume de France ; et en la fermant a l'Angleterre, notre jternelle ennemie, le cardinal achevait l'oeuvre de Jeanne d'Arc et du duc de Guise. Aussi Bassompierre, qui jtait a la fois protestant et catholique, protestant de conviction et catholique comme commandeur du Saint- Esprit ; Bassompierre, qui jtait Allemand de naissance et Franzais de coeur ; Bassompierre, enfin, qui avait un commandement particulier au siige de La Rochelle, disait-il, en chargeant a la tkte de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui : " Vous verrez, Messieurs, que nous serons assez bktes pour prendre La Rochelle ! " Et Bassompierre avait raison : la canonnade de l'ole de Rj lui prjsageait les dragonnades des Cjvennes ; la prise de La Rochelle jtait la prjface de la rjvocation de l'jdit de Nantes. Mais nous l'avons dit, a cftj de ces vues du ministre niveleur et simplificateur, et qui appartiennent a l'histoire, le chroniqueur est bien forcj de reconnaotre les petites visjes de l'homme amoureux et du rival jaloux. Richelieu, comme chacun sait, avait jtj amoureux de la reine ; cet amour avait-il chez lui un simple but politique ou jtait-ce tout naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne d'Autriche a ceux qui l'entouraient, c'est ce que nous ne saurions dire ; mais en tout cas on a vu, par les djveloppements antjrieurs de cette histoire, que Buckingham l'avait emportj sur lui, et que, dans deux ou trois circonstances et particuliirement dans celles des ferrets, il l'avait, grvce au djvouement des trois mousquetaires et au courage de d'Artagnan, cruellement mystifij. Il s'agissait donc pour Richelieu, non seulement de djbarrasser la France d'un ennemi, mais de se venger d'un rival ; au reste, la vengeance devait ktre grande et jclatante, et digne en tout d'un homme qui tient dans sa main, pour jpje de combat, les forces de tout un royaume. Richelieu savait qu'en combattant l'Angleterre il combattait Buckingham, qu'en triomphant de l'Angleterre il triomphait de Buckingham, enfin qu'en humiliant l'Angleterre aux yeux de l'Europe il humiliait Buckingham aux yeux de la reine. De son cftj Buckingham, tout en mettant en avant l'honneur de l'Angleterre, jtait my par des intjrkts absolument semblables a ceux du cardinal ; Buckingham aussi poursuivait une vengeance particuliire : sous aucun prjtexte, Buckingham n'avait pu rentrer en France comme ambassadeur, il voulait y rentrer comme conqujrant. Il en rjsulte que le vjritable enjeu de cette partie, que les deux plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, jtait un simple regard d'Anne d'Autriche. Le premier avantage avait jtj au duc de Buckingham : arrivj inopinjment en vue de l'ole de Rj avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes a peu pris, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l'ole ; il avait, apris un combat sanglant, opjrj son djbarquement. Relatons en passant que dans ce combat avait pjri le baron de Chantal ; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois. Cette petite fille fut depuis Mme de Sjvignj. Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison, et jeta une centaine d'hommes dans un petit fort qu'on appelait le fort de La Prje. Cet jvjnement avait hvtj les rjsolutions du cardinal ; et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siige de La Rochelle, qui jtait rjsolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premiires opjrations, et avait fait filer vers le thjvtre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer. C'jtait de ce djtachement envoyj en avant-garde que faisait partie notre ami d'Artagnan. Le roi, comme nous l'avons dit, devait suivre, aussitft son lit de justice tenu ; mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin, il s'jtait senti pris par la fiivre ; il n'en avait pas moins voulu partir, mais, son jtat empirant, il avait jtj forcj de s'arrkter a Villeroi. Or, oshch s'arrktait le roi s'arrktaient les mousquetaires ; il en rjsultait que d'Artagnan, qui jtait purement et simplement dans les gardes, se trouvait sjparj, momentanjment du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis ; cette sjparation, qui n'jtait pour lui qu'une contrarijtj, fyt certes devenue une inquijtude sjrieuse s'il eyt pu deviner de quels dangers inconnus il jtait entourj. Il n'en arriva pas moins sans accident au camp jtabli devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l'annje 1627. Tout jtait dans le mkme jtat : le duc de Buckingham et ses Anglais, maotres de l'ole de Rj, continuaient d'assijger, mais sans succis, la citadelle de Saint-Martin et le fort de La Prje, et les hostilitjs avec La Rochelle jtaient commencjes depuis deux ou trois jours a propos d'un fort que le duc d'Angoulkme venait de faire construire pris de la ville. Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes. Mais, nous le savons, d'Artagnan, prjoccupj de l'ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitij avec ses camarades ; il se trouvait donc isolj et livrj a ses propres rjflexions. Ses rjflexions n'jtaient pas riantes : depuis un an qu'il jtait arrivj a Paris, il s'jtait mklj aux affaires publiques ; ses affaires privjes n'avaient pas fait grand chemin comme amour et comme fortune. Comme amour, la seule femme qu'il eyt aimje jtait Mme Bonacieux, et Mme Bonacieux avait disparu sans qu'il pyt djcouvrir encore ce qu'elle jtait devenue. Comme fortune, il s'jtait fait, lui chjtif, ennemi du cardinal, c'est-a-dire d'un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, a commencer par le roi. Cet homme pouvait l'jcraser, et cependant il ne l'avait pas fait : pour un esprit aussi perspicace que l'jtait d'Artagnan, cette indulgence jtait un jour par lequel il voyait dans un meilleur avenir. Puis, il s'jtait fait encore un autre ennemi moins a craindre, pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n'ktre pas a mjpriser : cet ennemi, c'jtait Milady. En jchange de tout cela il avait acquis la protection et la bienveillance de la reine, mais la bienveillance de la reine jtait, par le temps qui courait, une cause de plus de persjcution ; et sa protection, on le sait, protjgeait fort mal : tjmoins Chalais et Mme Bonacieux. Ce qu'il avait donc gagnj de plus clair dans tout cela, c'jtait le diamant de cinq ou six mille livres qu'il portait au doigt ; et encore ce diamant, en supposant que d'Artagnan, dans ses projets d'ambition, voulyt le garder pour s'en faire un jour un signe de reconnaissance pris de la reine, n'avait en attendant, puisqu'il ne pouvait s'en djfaire, pas plus de valeur que les cailloux qu'il foulait a ses pieds. Nous disons " que les cailloux qu'il foulait a ses pieds " , car d'Artagnan faisait ces rjflexions en se promenant solitairement sur un joli petit chemin qui conduisait du camp au village d'Angoutin ; or ces rjflexions l'avaient conduit plus loin qu'il ne croyait, et le jour commenzait a baisser, lorsqu'au dernier rayon du soleil couchant il lui sembla voir briller derriire une haie le canon d'un mousquet. D'Artagnan avait l'oeil vif et l'esprit prompt, il comprit que le mousquet n'jtait pas venu la tout seul et que celui qui le portait ne s'jtait pas cachj derriire une haie dans des intentions amicales. Il rjsolut donc de gagner au large, lorsque de l'autre cftj de la route, derriire un rocher, il aperzut l'extrjmitj d'un second mousquet. C'jtait jvidemment une embuscade. Le jeune homme jeta un coup d'oeil sur le premier mousquet et vit avec une certaine inquijtude qu'il s'abaissait dans sa direction, mais aussitft qu'il vit l'orifice du canon immobile il se jeta ventre a terre. En mkme temps le coup partit, il entendit le sifflement d'une balle qui passait au-dessus de sa tkte. Il n'y avait pas de temps a perdre, d'Artagnan se redressa d'un bond, et au mkme moment la balle de l'autre mousquet fit voler les cailloux a l'endroit mkme du chemin oshch il s'jtait jetj la face contre terre. D'Artagnan n'jtait pas un de ces hommes inutilement braves qui cherchent une mort ridicule pour qu'on dise d'eux qu'ils n'ont pas reculj d'un pas, d'ailleurs il ne s'agissait plus de courage ici, d'Artagnan jtait tombj dans un guet-apens. " S'il y a un troisiime coup, se dit-il, je suis un homme perdu ! " Et aussitft prenant ses jambes a son cou, il s'enfuit dans la direction du camp, avec la vitesse des gens de son pays si renommjs pour leur agilitj ; mais, quelle que fyt la rapiditj de sa course, le premier qui avait tirj, ayant eu le temps de recharger son arme, lui tira un second coup si bien ajustj, cette fois, que la balle traversa son feutre et le fit voler a dix pas de lui. Cependant, comme d'Artagnan n'avait pas d'autre chapeau, il ramassa le sien tout en courant, arriva fort essoufflj et fort pvle, dans son logis, s'assit sans rien dire a personne et se mit a rjfljchir. Cet jvjnement pouvait avoir trois causes : La premiire et la plus naturelle pouvait ktre une embuscade des Rochelois, qui n'eussent pas jtj fvchjs de tuer un des gardes de Sa Majestj, d'abord parce que c'jtait un ennemi de moins, et que cet ennemi pouvait avoir une bourse bien garnie dans sa poche. D'Artagnan prit son chapeau, examina le trou de la balle, et secoua la tkte. La balle n'jtait pas une balle de mousquet, c'jtait une balle d'arquebuse ; la justesse du coup lui avait djja donnj l'idje qu'il avait jtj tirj par une arme particuliire : ce n'jtait donc pas une embuscade militaire, puisque la balle n'jtait pas de calibre. Ce pouvait ktre un bon souvenir de M. le cardinal. On se rappelle qu'au moment mkme oshch il avait, grvce a ce bienheureux rayon de soleil, aperzu le canon du fusil, il s'jtonnait de la longanimitj de Son Eminence a son jgard. Mais d'Artagnan secoua la tkte. Pour les gens vers lesquels elle n'avait qu'a jtendre la main, Son Eminence recourait rarement a de pareils moyens. Ce pouvait ktre une vengeance de Milady. Ceci, c'jtait plus probable. Il chercha inutilement a se rappeler ou les traits ou le costume des assassins ; il s'jtait jloignj d'eux si rapidement, qu'il n'avait eu le loisir de rien remarquer. " Ah ! mes pauvres amis, murmura d'Artagnan, oshch ktes-vous ? et que vous me faites faute ! " D'Artagnan passa une fort mauvaise nuit. Trois ou quatre fois il se rjveilla en sursaut, se figurant qu'un homme s'approchait de son lit pour le poignarder. Cependant le jour parut sans que l'obscuritj eyt amenj aucun incident. Mais d'Artagnan se douta bien que ce qui jtait diffjrj n'jtait pas perdu. D'Artagnan resta toute la journje dans son logis ; il se donna pour excuse, vis-a-vis de lui-mkme, que le temps jtait mauvais. Le surlendemain, a neuf heures, on battit aux champs. Le duc d'Orljans visitait les postes. Les gardes coururent aux armes, d'Artagnan prit son rang au milieu de ses camarades. Monsieur passa sur le front de bataille ; puis tous les officiers supjrieurs s'approchirent de lui pour lui faire leur cour, M. des Essarts, le capitaine des gardes, comme les autres. Au bout d'un instant il parut a d'Artagnan que M. des Essarts lui faisait signe de s'approcher de lui : il attendit un nouveau geste de son supjrieur, craignant de se tromper, mais ce geste s'jtant renouvelj, il quitta les rangs et s'avanza pour prendre l'ordre. " Monsieur va demander des hommes de bonne volontj pour une mission dangereuse, mais qui fera honneur a ceux qui l'auront accomplie, et je vous ai fait signe afin que vous vous tinssiez prkt. -- Merci, mon capitaine ! " rjpondit d'Artagnan, qui ne demandait pas mieux que de se distinguer sous les yeux du lieutenant gjnjral. En effet, les Rochelois avaient fait une sortie pendant la nuit et avaient repris un bastion dont l'armje royaliste s'jtait emparje deux jours auparavant ; il s'agissait de pousser une reconnaissance perdue pour voir comment l'armje gardait ce bastion. Effectivement, au bout de quelques instants, Monsieur jleva la voix et dit : " Il me faudrait, pour cette mission, trois ou quatre volontaires conduits par un homme syr. -- Quant a l'homme syr, je l'ai sous la main, Monseigneur, dit M. des Essarts en montrant d'Artagnan ; et quant aux quatre ou cinq volontaires, Monseigneur n'a qu'a faire connaotre ses intentions, et les hommes ne lui manqueront pas. -- Quatre hommes de bonne volontj pour venir se faire tuer avec moi ! " dit d'Artagnan en levant son jpje. Deux de ses camarades aux gardes s'jlancirent aussitft, et deux soldats s'jtant joints a eux, il se trouva que le nombre demandj jtait suffisant ; d'Artagnan refusa donc tous les autres, ne voulant pas faire de passe-droit a ceux qui avaient la prioritj. On ignorait si, apris la prise du bastion, les Rochelois l'avaient jvacuj ou s'ils y avaient laissj garnison ; il fallait donc examiner le lieu indiquj d'assez pris pour vjrifier la chose. D'Artagnan partit avec ses quatre compagnons et suivit la tranchje : les deux gardes marchaient au mkme rang que lui et les soldats venaient par-derriire. Ils arrivirent ainsi, en se couvrant de revktements, jusqu'a une centaine de pas du bastion ! La, d'Artagnan, en se retournant, s'aperzut que les deux soldats avaient disparu. Il crut qu'ayant eu peur ils jtaient restjs en arriire et continua d'avancer. Au djtour de la contrescarpe, ils se trouvirent a soixante pas a peu pris du bastion. On ne voyait personne, et le bastion semblait abandonnj. Les trois enfants perdus djlibjraient s'ils iraient plus avant, lorsque tout a coup une ceinture de fumje ceignit le gjant de pierre, et une douzaine de balles vinrent siffler autour de d'Artagnan et de ses deux compagnons. Ils savaient ce qu'ils voulaient savoir : le bastion jtait gardj. Une plus longue station dans cet endroit dangereux eyt donc jtj une imprudence inutile ; d'Artagnan et les deux gardes tournirent le dos et commencirent une retraite qui ressemblait a une fuite. En arrivant a l'angle de la tranchje qui allait leur servir de rempart, un des gardes tomba : une balle lui avait traversj la poitrine. L'autre, qui jtait sain et sauf, continua sa course vers le camp. D'Artagnan ne voulut pas abandonner ainsi son compagnon, et s'inclina vers lui pour le relever et l'aider a rejoindre les lignes ; mais en ce moment deux coups de fusil partirent : une balle cassa la tkte du garde djja blessj, et l'autre vint s'aplatir sur le roc apris avoir passj a deux pouces de d'Artagnan. Le jeune homme se retourna vivement, car cette attaque ne pouvait venir du bastion, qui jtait masquj par l'angle de la tranchje. L'idje des deux soldats qui l'avaient abandonnj lui revint a l'esprit et lui rappela ses assassins de la surveille ; il rjsolut donc cette fois de savoir a quoi s'en tenir, et tomba sur le corps de son camarade comme s'il jtait mort. Il vit aussitft deux tktes qui s'jlevaient au-dessus d'un ouvrage abandonnj qui jtait a trente pas de la : c'jtaient celles de nos deux soldats. D'Artagnan ne s'jtait pas trompj : ces deux hommes ne l'avaient suivi que pour l'assassiner, espjrant que la mort du jeune homme serait mise sur le compte de l'ennemi. Seulement, comme il pouvait n'ktre que blessj et djnoncer leur crime, ils s'approchirent pour l'achever ; heureusement, trompjs par la ruse de d'Artagnan, ils njgligirent de recharger leurs fusils. Lorsqu'ils furent a dix pas de lui, d'Artagnan, qui en tombant avait eu grand soin de ne pas lvcher son jpje, se releva tout a coup et d'un bond se trouva pris d'eux. Les assassins comprirent que s'ils s'enfuyaient du cftj du camp sans avoir tuj leur homme, ils seraient accusjs par lui ; aussi leur premiire idje fut-elle de passer a l'ennemi. L'un d'eux prit son fusil par le canon, et s'en servit comme d'une massue : il en porta un coup terrible a d'Artagnan, qui l'jvita en se jetant de cftj, mais par ce mouvement il livra passage au bandit, qui s'jlanza aussitft vers le bastion. Comme les Rochelois qui le gardaient ignoraient dans quelle intention cet homme venait a eux, ils firent feu sur lui et il tomba frappj d'une balle qui lui brisa l'jpaule. Pendant ce temps, d'Artagnan s'jtait jetj sur le second soldat, l'attaquant avec son jpje ; la lutte ne fut pas longue, ce misjrable n'avait pour se djfendre que son arquebuse djchargje ; l'jpje du garde glissa contre le canon de l'arme devenue inutile et alla traverser la cuisse de l'assassin, qui tomba. D'Artagnan lui mit aussitft la pointe du fer sur la gorge. " Oh ! ne me tuez pas ! s'jcria le bandit ; grvce, grvce, mon officier ! et je vous dirai tout. -- Ton secret vaut-il la peine que je te garde la vie au moins ? demanda le jeune homme en retenant son bras. -- Oui ; si vous estimez que l'existence soit quelque chose quand on a vingt-deux ans comme vous et qu'on peut arriver a tout, jtant beau et brave comme vous l'ktes. -- Misjrable ! dit d'Artagnan, voyons, parle vite, qui t'a chargj de m'assassiner ? -- Une femme que je ne connais pas, mais qu'on appelle Milady. -- Mais si tu ne connais pas cette femme, comment sais-tu son nom ? -- Mon camarade la connaissait et l'appelait ainsi, c'est a lui qu'elle a eu affaire et non pas a moi ; il a mkme dans sa poche une lettre de cette personne qui doit avoir pour vous une grande importance, a ce que je lui ai entendu dire. -- Mais comment te trouves-tu de moitij dans ce guet-apens ? -- Il m'a proposj de faire le coup a nous deux et j'ai acceptj. -- Et combien vous a-t-elle donnj pour cette belle expjdition ? -- Cent louis. -- Eh bien, a la bonne heure, dit le jeune homme en riant, elle estime que je vaux quelque chose ; cent louis ! c'est une somme pour deux misjrables comme vous : aussi je comprends que tu aies acceptj, et je te fais grvce, mais a une condition ! -- Laquelle ? demanda le soldat inquiet en voyant que tout n'jtait pas fini. -- C'est que tu vas aller me chercher la lettre que ton camarade a dans sa poche. -- Mais, s'jcria le bandit, c'est une autre maniire de me tuer ; comment voulez-vous que j'aille chercher cette lettre sous le feu du bastion ? -- Il faut pourtant que tu te djcides a l'aller chercher, ou je te jure que tu vas mourir de ma main. -- Grvce, Monsieur, pitij ! au nom de cette jeune dame que vous aimez, que vous croyez morte peut-ktre, et qui ne l'est pas ! s'jcria le bandit en se mettant a genoux et s'appuyant sur sa main, car il commenzait a perdre ses forces avec son sang. -- Et d'oshch sais-tu qu'il y a une jeune femme que j'aime, et que j'ai cru cette femme morte ? demanda d'Artagnan. -- Par cette lettre que mon camarade a dans sa poche. -- Tu vois bien alors qu'il faut que j'aie cette lettre, dit d'Artagnan ; ainsi donc plus de retard, plus d'hjsitation, ou quelle que soit ma rjpugnance a tremper une seconde fois mon jpje dans le sang d'un misjrable comme toi, je le jure par ma foi d'honnkte homme... " Et a ces mots d'Artagnan fit un geste si menazant, que le blessj se releva. " Arrktez ! arrktez ! s'jcria-t-il reprenant courage a force de terreur, j'irai... j'irai !... " D'Artagnan prit l'arquebuse du soldat, le fit passer devant lui et le poussa vers son compagnon en lui piquant les reins de la pointe de son jpje. C'jtait une chose affreuse que de voir ce malheureux, laissant sur le chemin qu'il parcourait une longue trace de sang, pvle de sa mort prochaine, essayant de se traoner sans ktre vu jusqu'au corps de son complice qui gisait a vingt pas de la ! La terreur jtait tellement peinte sur son visage couvert d'une froide sueur, que d'Artagnan en eut pitij ; et que, le regardant avec mjpris : " Eh bien, lui dit-il, je vais te montrer la diffjrence qu'il y a entre un homme de coeur et un lvche comme toi ; reste, j'irai. " Et d'un pas agile, l'oeil au guet, observant les mouvements de l'ennemi, s'aidant de tous les accidents de terrain, d'Artagnan parvint jusqu'au second soldat. Il y avait deux moyens d'arriver a son but : le fouiller sur la place, ou l'emporter en se faisant un bouclier de son corps, et le fouiller dans la tranchje. D'Artagnan prjfjra le second moyen et chargea l'assassin sur ses jpaules au moment mkme oshch l'ennemi faisait feu. Une ljgire secousse, le bruit mat de trois balles qui trouaient les chairs, un dernier cri, un frjmissement d'agonie prouvirent a d'Artagnan que celui qui avait voulu l'assassiner venait de lui sauver la vie. D'Artagnan regagna la tranchje et jeta le cadavre aupris du blessj aussi pvle qu'un mort. Aussitft il commenza l'inventaire : un portefeuille de cuir, une bourse oshch se trouvait jvidemment une partie de la somme que le bandit avait rezue, un cornet et des djs formaient l'hjritage du mort. Il laissa le cornet et les djs oshch ils jtaient tombjs, jeta la bourse au blessj et ouvrit avidement le portefeuille. Au milieu de quelques papiers sans importance, il trouva la lettre suivante : c'jtait celle qu'il jtait allj chercher au risque de sa vie : " Puisque vous avez perdu la trace de cette femme et qu'elle est maintenant en syretj dans ce couvent oshch vous n'auriez jamais dy la laisser arriver, tvchez au moins de ne pas manquer l'homme ; sinon, vous savez que j'ai la main longue et que vous payeriez cher les cent louis que vous avez a moi. " Pas de signature. Njanmoins il jtait jvident que la lettre venait de Milady. En consjquence, il la garda comme piice a conviction, et, en syretj derriire l'angle de la tranchje, il se mit a interroger le blessj. Celui-ci confessa qu'il s'jtait chargj avec son camarade, le mkme qui venait d'ktre tuj, d'enlever une jeune femme qui devait sortir de Paris par la barriire de La Villette, mais que, s'jtant arrktjs a boire dans un cabaret, ils avaient manquj la voiture de dix minutes. " Mais qu'eussiez-vous fait de cette femme ? demanda d'Artagnan avec angoisse. -- Nous devions la remettre dans un hftel de la place Royale, dit le blessj. -- Oui ! oui ! murmura d'Artagnan, c'est bien cela, chez Milady elle- mkme. " Alors le jeune homme comprit en frjmissant quelle terrible soif de vengeance poussait cette femme a le perdre, ainsi que ceux qui l'aimaient, et combien elle en savait sur les affaires de la cour, puisqu'elle avait tout djcouvert. Sans doute elle devait ces renseignements au cardinal. Mais, au milieu de tout cela, il comprit, avec un sentiment de joie bien rjel, que la reine avait fini par djcouvrir la prison oshch la pauvre Mme Bonacieux expiait son djvouement, et qu'elle l'avait tirje de cette prison. Alors la lettre qu'il avait rezue de la jeune femme et son passage sur la route de Chaillot, passage pareil a une apparition, lui furent expliqujs. Dis lors, ainsi qu'Athos l'avait prjdit, il jtait possible de retrouver Mme Bonacieux, et un couvent n'jtait pas imprenable. Cette idje acheva de lui remettre la cljmence au coeur. Il se retourna vers le blessj qui suivait avec anxijtj toutes les expressions diverses de son visage, et lui tendant le bras : " Allons, lui dit-il, je ne veux pas t'abandonner ainsi. Appuie-toi sur moi et retournons au camp. -- Oui, dit le blessj, qui avait peine a croire a tant de magnanimitj, mais n'est-ce point pour me faire pendre ? -- Tu as ma parole, dit-il, et pour la seconde fois je te donne la vie. " Le blessj se laissa glisser a genoux et baisa de nouveau les pieds de son sauveur ; mais d'Artagnan, qui n'avait plus aucun motif de rester si pris de l'ennemi, abrjgea lui-mkme les tjmoignages de sa reconnaissance. Le garde qui jtait revenu a la premiire djcharge des Rochelois avait annoncj la mort de ses quatre compagnons. On fut donc a la fois fort jtonnj et fort joyeux dans le rjgiment, quand on vit reparaotre le jeune homme sain et sauf. D'Artagnan expliqua le coup d'jpje de son compagnon par une sortie qu'il improvisa. Il raconta la mort de l'autre soldat et les pjrils qu'ils avaient courus. Ce rjcit fut pour lui l'occasion d'un vjritable triomphe. Toute l'armje parla de cette expjdition pendant un jour, et Monsieur lui en fit faire ses compliments. Au reste, comme toute belle action porte avec elle sa rjcompense, la belle action de d'Artagnan eut pour rjsultat de lui rendre la tranquillitj qu'il avait perdue. En effet, d'Artagnan croyait pouvoir ktre tranquille, puisque, de ses deux ennemis, l'un jtait tuj et l'autre djvouj a ses intjrkts. Cette tranquillitj prouvait une chose, c'est que d'Artagnan ne connaissait pas encore Milady. CHAPITRE XLII. LE VIN D'ANJOU Apris des nouvelles presque djsespjrjes du roi, le bruit de sa convalescence commenzait a se rjpandre dans le camp ; et comme il avait grande hvte d'arriver en personne au siige, on disait qu'aussitft qu'il pourrait remonter a cheval, il se remettrait en route. Pendant ce temps, Monsieur, qui savait que, d'un jour a l'autre, il allait ktre remplacj dans son commandement, soit par le duc d'Angoulkme, soit par Bassompierre ou par Schomberg, qui se disputaient le commandement, faisait peu de choses, perdait ses journjes en tvtonnements, et n'osait risquer quelque grande entreprise pour chasser les Anglais de l'ole de Rj, oshch ils assijgeaient toujours la citadelle Saint- Martin et le fort de La Prje, tandis que, de leur cftj, les Franzais assijgeaient La Rochelle. D'Artagnan, comme nous l'avons dit, jtait redevenu plus tranquille, comme il arrive toujours apris un danger passj, et quand le danger semble jvanoui ; il ne lui restait qu'une inquijtude, c'jtait de n'apprendre aucune nouvelle de ses amis. Mais, un matin du commencement du mois de novembre, tout lui fut expliquj par cette lettre, datje de Villeroi : " Monsieur d'Artagnan, " MM. Athos, Porthos et Aramis, apris avoir fait une bonne partie chez moi, et s'ktre jgayjs beaucoup, ont menj si grand bruit, que le prjvft du chvteau, homme tris rigide, les a consignjs pour quelques jours ; mais j'accomplis les ordres qu'ils m'ont donnjs, de vous envoyer douze bouteilles de mon vin d'Anjou, dont ils ont fait grand cas : ils veulent que vous buviez a leur santj avec leur vin favori. " Je l'ai fait, et suis, Monsieur, avec un grand respect, " Votre serviteur tris humble et tris objissant, " GODEAU, " Hftelier de Messieurs les mousquetaires. " " A la bonne heure ! s'jcria d'Artagnan, ils pensent a moi dans leurs plaisirs comme je pensais a eux dans mon ennui ; bien certainement que je boirai a leur santj et de grand coeur ; mais je n'y boirai pas seul. " Et d'Artagnan courut chez deux gardes, avec lesquels il avait fait plus amitij qu'avec les autres, afin de les inviter a boire avec lui le djlicieux petit vin d'Anjou qui venait d'arriver de Villeroi. L'un des deux gardes jtait invitj pour le soir mkme, et l'autre invitj pour le lendemain ; la rjunion fut donc fixje au surlendemain. D'Artagnan, en rentrant, envoya les douze bouteilles de vin a la buvette des gardes, en recommandant qu'on les lui gardvt avec soin ; puis, le jour de la solennitj, comme le doner jtait fixj pour l'heure de midi, d'Artagnan envoya, dis neuf heures, Planchet pour tout prjparer. Planchet, tout fier d'ktre jlevj a la dignitj de maotre d'hftel, songea a tout apprkter en homme intelligent ; a cet effet il s'adjoignit le valet d'un des convives de son maotre, nommj Fourreau, et ce faux soldat qui avait voulu tuer d'Artagnan, et qui, n'appartenant a aucun corps, jtait entrj a son service ou plutft a celui de Planchet, depuis que d'Artagnan lui avait sauvj la vie. L'heure du festin venue, les deux convives arrivirent, prirent place et les mets s'alignirent sur la table. Planchet servait la serviette au bras, Fourreau djbouchait les bouteilles, et Brisemont, c'jtait le nom du convalescent, transvasait dans des carafons de verre le vin qui paraissait avoir djposj par l'effet des secousses de la route. De ce vin, la premiire bouteille jtait un peu trouble vers la fin, Brisemont versa cette lie dans un verre, et d'Artagnan lui permit de la boire ; car le pauvre diable n'avait pas encore beaucoup de forces. Les convives, apris avoir mangj le potage, allaient porter le premier verre a leurs livres, lorsque tout a coup le canon retentit au fort Louis et au fort Neuf ; aussitft les gardes, croyant qu'il s'agissait de quelque attaque imprjvue, soit des assijgjs, soit des Anglais, sautirent sur leurs jpjes ; d'Artagnan, non moins leste, fit comme eux, et tous trois sortirent en courant, afin de se rendre a leurs postes. Mais a peine furent-ils hors de la buvette, qu'ils se trouvirent fixjs sur la cause de ce grand bruit ; les cris de Vive le roi ! Vive M. le cardinal ! retentissaient de tous cftjs, et les tambours battaient dans toutes les directions. En effet, le roi, impatient comme on l'avait dit, venait de doubler deux jtapes, et arrivait a l'instant mkme avec toute sa maison et un renfort de dix mille hommes de troupe ; ses mousquetaires le prjcjdaient et le suivaient. D'Artagnan, placj en haie avec sa compagnie, salua d'un geste expressif ses amis, qui lui rjpondirent des yeux, et M. de Trjville, qui le reconnut tout d'abord. La cjrjmonie de rjception achevje, les quatre amis furent bientft dans les bras l'un de l'autre. " Pardieu ! s'jcria d'Artagnan, il n'est pas possible de mieux arriver, et les viandes n'auront pas encore eu le temps de refroidir ! n'est-ce pas, Messieurs ? ajouta le jeune homme en se tournant vers les deux gardes, qu'il prjsenta a ses amis. -- Ah ! ah ! il paraot que nous banquetions, dit Porthos. -- J'espire, dit Aramis, qu'il n'y a pas de femmes a votre doner ! -- Est-ce qu'il y a du vin potable dans votre bicoque ? demanda Athos. -- Mais, pardieu ! il y a le vftre, cher ami, rjpondit d'Artagnan. -- Notre vin ? fit Athos jtonnj. -- Oui, celui que vous m'avez envoyj. -- Nous vous avons envoyj du vin ? -- Mais vous savez bien, de ce petit vin des coteaux d'Anjou ? -- Oui, je sais bien de quel vin vous voulez parler. -- Le vin que vous prjfjrez. -- Sans doute, quand je n'ai ni champagne ni chambertin. -- Eh bien, a djfaut de champagne et de chambertin, vous vous contenterez de celui-la. -- Nous avons donc fait venir du vin d'Anjou, gourmet que nous sommes ? dit Porthos. -- Mais non, c'est le vin qu'on m'a envoyj de votre part. -- De notre part ? firent les trois mousquetaires. -- Est-ce vous, Aramis, dit Athos, qui avez envoyj du vin ? -- Non, et vous, Porthos ? -- Non, et vous, Athos ? -- Non. -- Si ce n'est pas vous, dit d'Artagnan, c'est votre hftelier. -- Notre hftelier ? -- Et oui ! votre hftelier, Godeau, hftelier des mousquetaires. -- Ma foi, qu'il vienne d'oshch il voudra, n'importe, dit Porthos, goytons- le, et, s'il est bon, buvons-le. -- Non pas, dit Athos, ne buvons pas le vin qui a une source inconnue. -- Vous avez raison, Athos, dit d'Artagnan. Personne de vous n'a chargj l'hftelier Godeau de m'envoyer du vin ? -- Non ! et cependant il vous en a envoyj de notre part ? -- Voici la lettre ! " dit d'Artagnan. Et il prjsenta le billet a ses camarades. " Ce n'est pas son jcriture ! s'jcria Athos, je la connais, c'est moi qui, avant de partir, ai rjglj les comptes de la communautj. -- Fausse lettre, dit Porthos ; nous n'avons pas jtj consignjs. -- D'Artagnan, demanda Aramis d'un ton de reproche, comment avez- vous pu croire que nous avions fait du bruit ?... " D'Artagnan pvlit, et un tremblement convulsif secoua tous ses membres. " Tu m'effraies, dit Athos, qui ne le tutoyait que dans les grandes occasions, qu'est-il donc arrivj ? -- Courons, courons, mes amis ! s'jcria d'Artagnan, un horrible soupzon me traverse l'esprit ! serait-ce encore une vengeance de cette femme ? " Ce fut Athos qui pvlit a son tour. D'Artagnan s'jlanza vers la buvette, les trois Mousquetaires et les deux gardes l'y suivirent. Le premier objet qui frappa la vue de d'Artagnan en entrant dans la salle a manger, fut Brisemont jtendu par terre et se roulant dans d'atroces convulsions. Planchet et Fourreau, pvles comme des morts, essayaient de lui porter secours ; mais il jtait jvident que tout secours jtait inutile : tous les traits du moribond jtaient crispjs par l'agonie. " Ah ! s'jcria-t-il en apercevant d'Artagnan, ah ! c'est affreux, vous avez l'air de me faire grvce et vous m'empoisonnez ! -- Moi ! s'jcria d'Artagnan, moi, malheureux ! moi ! que dis-tu donc la ? -- Je dis que c'est vous qui m'avez donnj ce vin, je dis que c'est vous qui m'avez dit de le boire, je dis que vous avez voulu vous venger de moi, je dis que c'est affreux ! -- N'en croyez rien, Brisemont, dit d'Artagnan, n'en croyez rien ; je vous jure, je vous proteste... -- Oh ! mais Dieu est la ! Dieu vous punira ! Mon Dieu ! qu'il souffre un jour ce que je souffre ! -- Sur l'Evangile, s'jcria d'Artagnan en se prjcipitant vers le moribond, je vous jure que j'ignorais que ce vin fyt empoisonnj et que j'allais en boire comme vous. -- Je ne vous crois pas " , dit le soldat. Et il expira dans un redoublement de tortures. " Affreux ! affreux ! murmurait Athos, tandis que Porthos brisait les bouteilles et qu'Aramis donnait des ordres un peu tardifs pour qu'on allvt chercher un confesseur. -- O mes amis ! dit d'Artagnan, vous venez encore une fois de me sauver la vie, non seulement a moi, mais a ces Messieurs. Messieurs, continua-t-il en s'adressant aux gardes, je vous demanderai le silence sur toute cette aventure ; de grands personnages pourraient avoir trempj dans ce que vous avez vu, et le mal de tout cela retomberait sur nous. -- Ah ! Monsieur ! balbutiait Planchet plus mort que vif ; ah ! Monsieur ! que je l'ai jchappj belle ! -- Comment, drfle, s'jcria d'Artagnan, tu allais donc boire mon vin ? -- A la santj du roi, Monsieur, j'allais en boire un pauvre verre, si Fourreau ne m'avait pas dit qu'on m'appelait. -- Hjlas ! dit Fourreau, dont les dents claquaient de terreur, je voulais l'jloigner pour boire tout seul ! -- Messieurs, dit d'Artagnan en s'adressant aux gardes, vous comprenez qu'un pareil festin ne pourrait ktre que fort triste apris ce qui vient de se passer ; ainsi recevez toutes mes excuses et remettez la partie a un autre jour, je vous prie. " Les deux gardes acceptirent courtoisement les excuses de d'Artagnan, et, comprenant que les quatre amis djsiraient demeurer seuls, ils se retirirent. Lorsque le jeune garde et les trois mousquetaires furent sans tjmoins, ils se regardirent d'un air qui voulait dire que chacun comprenait la gravitj de la situation. " D'abord, dit Athos, sortons de cette chambre ; c'est une mauvaise compagnie qu'un mort, mort de mort violente. -- Planchet, dit d'Artagnan, je vous recommande le cadavre de ce pauvre diable. Qu'il soit enterrj en terre sainte. Il avait commis un crime, c'est vrai, mais il s'en jtait repenti. " Et les quatre amis sortirent de la chambre, laissant a Planchet et a Fourreau le soin de rendre les honneurs mortuaires a Brisemont. L'hfte leur donna une autre chambre dans laquelle il leur servit des oeufs a la coque et de l'eau, qu'Athos alla puiser lui-mkme a la fontaine. En quelques paroles Porthos et Aramis furent mis au courant de la situation. " Eh bien, dit d'Artagnan a Athos, vous le voyez, cher ami, c'est une guerre a mort. " Athos secoua la tkte. " Oui, oui, dit-il, je le vois bien ; mais croyez-vous que ce soit elle ? -- J'en suis syr. -- Cependant je vous avoue que je doute encore. -- Mais cette fleur de lys sur l'jpaule ? -- C'est une Anglaise qui aura commis quelque mjfait en France, et qu'on aura fljtrie a la suite de son crime. -- Athos, c'est votre femme, vous dis-je, rjpjtait d'Artagnan, ne vous rappelez-vous donc pas comme les deux signalements se ressemblent ? -- J'aurais cependant cru que l'autre jtait morte, je l'avais si bien pendue. " Ce fut d'Artagnan qui secoua la tkte a son tour. " Mais enfin, que faire ? dit le jeune homme. -- Le fait est qu'on ne peut rester ainsi avec une jpje jternellement suspendue au-dessus de sa tkte, dit Athos, et qu'il faut sortir de cette situation. -- Mais comment ? -- Ecoutez, tvchez de la rejoindre et d'avoir une explication avec elle ; dites-lui : La paix ou la guerre ! ma parole de gentilhomme de ne jamais rien dire de vous, de ne jamais rien faire contre vous ; de votre cftj serment solennel de rester neutre a mon jgard : sinon, je vais trouver le chancelier, je vais trouver le roi, je vais trouver le bourreau, j'ameute la cour contre vous, je vous djnonce comme fljtrie, je vous fais mettre en jugement, et si l'on vous absout, et bien, je vous tue, foi de gentilhomme ! au coin de quelque borne, comme je tuerais un chien enragj. -- J'aime assez ce moyen, dit d'Artagnan, mais comment la joindre ? -- Le temps, cher ami, le temps amine l'occasion, l'occasion c'est la martingale de l'homme : plus on a engagj, plus l'on gagne quand on sait attendre. -- Oui, mais attendre entourj d'assassins et d'empoisonneurs... -- Bah ! dit Athos, Dieu nous a gardjs jusqu'a prjsent, Dieu nous gardera encore. -- Oui, nous ; nous d'ailleurs, nous sommes des hommes, et, a tout prendre, c'est notre jtat de risquer notre vie : mais elle ! ajouta-t-il a demi-voix. -- Qui elle ? demanda Athos. -- Constance. -- Mme Bonacieux ! ah ! c'est juste, fit Athos ; pauvre ami ! j'oubliais que vous jtiez amoureux. -- Eh bien, mais, dit Aramis, n'avez-vous pas vu par la lettre mkme que vous avez trouvje sur le misjrable mort qu'elle jtait dans un couvent ? On est tris bien dans un couvent, et aussitft le siige de La Rochelle terminj, je vous promets que pour mon compte... -- Bon ! dit Athos, bon ! oui, mon cher Aramis ! nous savons que vos voeux tendent a la religion. -- Je ne suis mousquetaire que par intjrim, dit humblement Aramis. -- Il paraot qu'il y a longtemps qu'il n'a rezu des nouvelles de sa maotresse, dit tout bas Athos ; mais ne faites pas attention, nous connaissons cela. -- Eh bien, dit Porthos, il me semble qu'il y aurait un moyen bien simple. -- Lequel ? demanda d'Artagnan. -- Elle est dans un couvent, dites-vous ? reprit Porthos. -- Oui. -- Eh bien, au