- Une femme de marque ! " dit Porthos avec son gros rire. Athos tressaillit, passa la main sur son front pour en essuyer la sueur, et se leva a son tour avec un mouvement nerveux qu'il ne put rjprimer. Le jour s'jcoula cependant, et le soir vint plus lentement, mais enfin il vint ; les buvettes s'emplirent de chalands ; Athos, qui avait empochj sa part du diamant, ne quittait plus le Parpaillot. Il avait trouvj dans M. de Busigny, qui, au reste, leur avait donnj un doner magnifique, un partner digne de lui. Ils jouaient donc ensemble, comme d'habitude, quand sept heures sonnirent : on entendit passer les patrouilles qui allaient doubler les postes ; a sept heures et demie la retraite sonna. " Nous sommes perdus, dit d'Artagnan a l'oreille d'Athos. -- Vous voulez dire que nous avons perdu, dit tranquillement Athos en tirant quatre pistoles de sa poche et en les jetant sur la table. Allons, Messieurs, continua-t-il, on bat la retraite, allons nous coucher. " Et Athos sortit du Parpaillot suivi de d'Artagnan. Aramis venait derriire donnant le bras a Porthos. Aramis mvchonnait des vers, et Porthos s'arrachait de temps en temps quelques poils de moustache en signe de djsespoir. Mais voila que tout a coup, dans l'obscuritj, une ombre se dessine, dont la forme est familiire a d'Artagnan, et qu'une voix bien connue lui dit : " Monsieur, je vous apporte votre manteau, car il fait frais ce soir. -- Planchet ! s'jcria d'Artagnan, ivre de joie. -- Planchet ! rjpjtirent Porthos et Aramis. -- Eh bien, oui, Planchet, dit Athos, qu'y a-t-il d'jtonnant a cela ? Il avait promis d'ktre de retour a huit heures, et voila les huit heures qui sonnent. Bravo ! Planchet, vous ktes un garzon de parole, et si jamais vous quittez votre maotre, je vous garde une place a mon service. -- Oh ! non, jamais, dit Planchet, jamais je ne quitterai M. d'Artagnan. " En mkme temps d'Artagnan sentit que Planchet lui glissait un billet dans la main. D'Artagnan avait grande envie d'embrasser Planchet au retour comme il l'avait embrassj au djpart ; mais il eut peur que cette marque d'effusion, donnje a son laquais en pleine rue, ne paryt extraordinaire a quelque passant, et il se contint. " J'ai le billet, dit-il a Athos et a ses amis. -- C'est bien, dit Athos, entrons chez nous, et nous le lirons. " Le billet brylait la main de d'Artagnan : il voulait hvter le pas ; mais Athos lui prit le bras et le passa sous le sien, et force fut au jeune homme de rjgler sa course sur celle de son ami. Enfin on entra dans la tente, on alluma une lampe, et tandis que Planchet se tenait sur la porte pour que les quatre amis ne fussent pas surpris, d'Artagnan, d'une main tremblante, brisa le cachet et ouvrit la lettre tant attendue. Elle contenait une demi-ligne, d'une jcriture toute britannique et d'une concision toute spartiate : " Thank you, be easy . " Ce qui voulait dire : " Merci, soyez tranquille. " Athos prit la lettre des mains de d'Artagnan, l'approcha de la lampe, y mit le feu, et ne la lvcha point qu'elle ne fyt rjduite en cendres. Puis appelant Planchet : " Maintenant, mon garzon, lui dit-il, tu peux rjclamer tes sept cents livres, mais tu ne risquais pas grand-chose avec un billet comme celui- la. -- Ce n'est pas faute que j'aie inventj bien des moyens de le serrer, dit Planchet. -- Eh bien, dit d'Artagnan, conte-nous cela. -- Dame ! c'est bien long, Monsieur. -- Tu as raison, Planchet, dit Athos ; d'ailleurs la retraite est battue, et nous serions remarqujs en gardant de la lumiire plus longtemps que les autres. -- Soit, dit d'Artagnan, couchons-nous. Dors bien, Planchet ! -- Ma foi, Monsieur ! ce sera la premiire fois depuis seize jours. -- Et moi aussi ! dit d'Artagnan. -- Et moi aussi ! rjpjta Porthos. -- Et moi aussi ! rjpjta Aramis. -- Eh bien, voulez-vous que je vous avoue la vjritj ? et moi aussi ! " dit Athos. CHAPITRE XLIX. FATALITE Cependant Milady, ivre de colire, rugissant sur le pont du bvtiment, comme une lionne qu'on embarque, avait jtj tentje de se jeter a la mer pour regagner la cfte, car elle ne pouvait se faire a l'idje qu'elle avait jtj insultje par d'Artagnan, menacje par Athos, et qu'elle quittait la France sans se venger d'eux. Bientft, cette idje jtait devenue pour elle tellement insupportable, qu'au risque de ce qui pouvait arriver de terrible pour elle-mkme, elle avait supplij le capitaine de la jeter sur la cfte ; mais le capitaine, pressj d'jchapper a sa fausse position, placj entre les croiseurs franzais et anglais, comme la chauve-souris entre les rats et les oiseaux, avait grande hvte de regagner l'Angleterre, et refusa obstinjment d'objir a ce qu'il prenait pour un caprice de femme, promettant a sa passagire, qui au reste lui jtait particuliirement recommandje par le cardinal, de la jeter, si la mer et les Franzais le permettaient, dans un des ports de la Bretagne, soit a Lorient, soit a Brest ; mais en attendant, le vent jtait contraire, la mer mauvaise, on louvoyait et l'on courait des bordjes. Neuf jours apris la sortie de la Charente, Milady, toute pvle de ses chagrins et de sa rage, voyait apparaotre seulement les cftes bleuvtres du Finistire. Elle calcula que pour traverser ce coin de la France et revenir pris du cardinal il lui fallait au moins trois jours ; ajoutez un jour pour le djbarquement et cela faisait quatre ; ajoutez ces quatre jours aux neuf autres, c'jtait treize jours de perdus, treize jours pendant lesquels tant d'jvjnements importants se pouvaient passer a Londres. Elle songea que sans aucun doute le cardinal serait furieux de son retour, et que par consjquent il serait plus disposj a jcouter les plaintes qu'on porterait contre elle que les accusations qu'elle porterait contre les autres. Elle laissa donc passer Lorient et Brest sans insister pris du capitaine, qui, de son cftj, se garda bien de lui donner l'jveil. Milady continua donc sa route, et le jour mkme oshch Planchet s'embarquait de Portsmouth pour la France, la messagire de Son Eminence entrait triomphante dans le port. Toute la ville jtait agitje d'un mouvement extraordinaire : -- quatre grands vaisseaux rjcemment achevjs venaient d'ktre lancjs a la mer ; -- debout sur la jetje, chamarrj d'or, jblouissant, selon son habitude, de diamants et de pierreries, le feutre ornj d'une plume blanche qui retombait sur son jpaule, on voyait Buckingham entourj d'un jtat- major presque aussi brillant que lui. C'jtait une de ces belles et rares journjes d'hiver oshch l'Angleterre se souvient qu'il y a un soleil. L'astre pvli, mais cependant splendide encore, se couchait a l'horizon, empourprant a la fois le ciel et la mer de bandes de feu et jetant sur les tours et les vieilles maisons de la ville un dernier rayon d'or qui faisait jtinceler les vitres comme le reflet d'un incendie. Milady, en respirant cet air de l'Ocjan plus vif et plus balsamique a l'approche de la terre, en contemplant toute la puissance de ces prjparatifs qu'elle jtait chargje de djtruire, toute la puissance de cette armje qu'elle devait combattre a elle seule -- elle femme -- avec quelques sacs d'or, se compara mentalement a Judith, la terrible Juive, lorsqu'elle pjnjtra dans le camp des Assyriens et qu'elle vit la masse jnorme de chars, de chevaux, d'hommes et d'armes qu'un geste de sa main devait dissiper comme un nuage de fumje. On entra dans la rade ; mais comme on s'apprktait a y jeter l'ancre, un petit cutter formidablement armj s'approcha du bvtiment marchand, se donnant comme garde-cfte, et fit mettre a la mer son canot, qui se dirigea vers l'jchelle. Ce canot renfermait un officier, un contremaotre et huit rameurs ; l'officier seul monta a bord, oshch il fut rezu avec toute la djfjrence qu'inspire l'uniforme. L'officier s'entretint quelques instants avec le patron, lui fit lire un papier dont il jtait porteur, et, sur l'ordre du capitaine marchand, tout l'jquipage du bvtiment, matelots et passagers, fut appelj sur le pont. Lorsque cette espice d'appel fut fait, l'officier s'enquit tout haut du point de djpart du brick, de sa route, de ses atterrissements, et a toutes les questions le capitaine satisfit sans hjsitation et sans difficultj. Alors l'officier commenza de passer la revue de toutes les personnes les unes apris les autres, et, s'arrktant a Milady, la considjra avec un grand soin, mais sans lui adresser une seule parole. Puis il revint au capitaine, lui dit encore quelques mots ; et, comme si c'eyt jtj a lui djsormais que le bvtiment dyt objir, il commanda une manoeuvre que l'jquipage exjcuta aussitft. Alors le bvtiment se remit en route, toujours escortj du petit cutter, qui voguait bord a bord avec lui, menazant son flanc de la bouche de ses six canons ; tandis que la barque suivait dans le sillage du navire, faible point pris de l'jnorme masse. Pendant l'examen que l'officier avait fait de Milady, Milady, comme on le pense bien, l'avait de son cftj djvorj du regard. Mais, quelque habitude que cette femme aux yeux de flamme eyt de lire dans le coeur de ceux dont elle avait besoin de deviner les secrets, elle trouva cette fois un visage d'une impassibilitj telle qu'aucune djcouverte ne suivit son investigation. L'officier qui s'jtait arrktj devant elle et qui l'avait silencieusement jtudije avec tant de soin pouvait ktre vgj de vingt-cinq a vingt-six ans, jtait blanc de visage avec des yeux bleu clair un peu enfoncjs ; sa bouche, fine et bien dessinje, demeurait immobile dans ses lignes correctes ; son menton, vigoureusement accusj, djnotait cette force de volontj qui, dans le type vulgaire britannique, n'est ordinairement que de l'entktement ; un front un peu fuyant, comme il convient aux poites, aux enthousiastes et aux soldats, jtait a peine ombragj d'une chevelure courte et clairsemje, qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage, jtait d'une belle couleur chvtain foncj. Lorsqu'on entra dans le port, il faisait djja nuit. La brume jpaississait encore l'obscuritj et formait autour des fanaux et des lanternes des jetjes un cercle pareil a celui qui entoure la lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L'air qu'on respirait jtait triste, humide et froid. Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgrj elle. L'officier se fit indiquer les paquets de Milady, fit porter son bagage dans le canot ; et lorsque cette opjration fut faite, il l'invita a y descendre elle-mkme en lui tendant sa main. Milady regarda cet homme et hjsita. " Qui ktes-vous, Monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bontj de vous occuper si particuliirement de moi ? -- Vous devez le voir, Madame, a mon uniforme ; je suis officier de la marine anglaise, rjpondit le jeune homme. -- Mais enfin, est-ce l'habitude que les officiers de la marine anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu'ils abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la galanterie jusqu'a les conduire a terre ? -- Oui, Milady, c'est l'habitude, non point par galanterie, mais par prudence, qu'en temps de guerre les jtrangers soient conduits a une hftellerie djsignje, afin que jusqu'a parfaite information sur eux ils restent sous la surveillance du gouvernement. " Ces mots furent prononcjs avec la politesse la plus exacte et le calme le plus parfait. Cependant ils n'eurent point le don de convaincre Milady. " Mais je ne suis pas jtrangire, Monsieur, dit-elle avec l'accent le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth a Manchester, je me nomme Lady Clarick, et cette mesure... -- Cette mesure est gjnjrale, Milady, et vous tenteriez inutilement de vous y soustraire. -- Je vous suivrai donc, Monsieur. " Et acceptant la main de l'officier, elle commenza de descendre l'jchelle au bas de laquelle l'attendait le canot. L'officier la suivit ; un grand manteau jtait jtendu a la poupe, l'officier la fit asseoir sur le manteau et s'assit pris d'elle. " Nagez " , dit-il aux matelots. Les huit rames retombirent dans la mer, ne formant qu'un seul bruit, ne frappant qu'un seul coup, et le canot sembla voler sur la surface de l'eau. Au bout de cinq minutes on touchait a terre. L'officier sauta sur le quai et offrit la main a Milady. Une voiture attendait. " Cette voiture est-elle pour nous ? demanda Milady. -- Oui, Madame, rjpondit l'officier. -- L'hftellerie est donc bien loin ? -- A l'autre bout de la ville. -- Allons " , dit Milady. Et elle monta rjsolument dans la voiture. L'officier veilla a ce que les paquets fussent soigneusement attachjs derriire la caisse, et cette opjration terminje, prit sa place pris de Milady et referma la portiire. Aussitft, sans qu'aucun ordre fyt donnj et sans qu'on eyt besoin de lui indiquer sa destination, le cocher partit au galop et s'enfonza dans les rues de la ville. Une rjception si jtrange devait ktre pour Milady une ample matiire a rjflexion ; aussi, voyant que le jeune officier ne paraissait nullement disposj a lier conversation, elle s'accouda dans un angle de la voiture et passa les unes apris les autres en revue toutes les suppositions qui se prjsentaient a son esprit. Cependant, au bout d'un quart d'heure, jtonnje de la longueur du chemin, elle se pencha vers la portiire pour voir oshch on la conduisait. On n'apercevait plus de maisons ; des arbres apparaissaient dans les tjnibres comme de grands fantfmes noirs courant les uns apris les autres. Milady frissonna. " Mais nous ne sommes plus dans la ville, Monsieur " , dit-elle. Le jeune officier garda le silence. " Je n'irai pas plus loin, si vous ne me dites pas oshch vous me conduisez ; je vous en prjviens, Monsieur ! " Cette menace n'obtint aucune rjponse. " Oh ! c'est trop fort ! s'jcria Milady, au secours ! au secours ! " Pas une voix ne rjpondit a la sienne, la voiture continua de rouler avec rapiditj ; l'officier semblait une statue. Milady regarda l'officier avec une de ces expressions terribles, particuliires a son visage et qui manquaient si rarement leur effet ; la colire faisait jtinceler ses yeux dans l'ombre. Le jeune homme resta impassible. Milady voulut ouvrir la portiire et se prjcipiter. " Prenez garde, Madame, dit froidement le jeune homme, vous vous tuerez en sautant. " Milady se rassit jcumante ; l'officier se pencha, la regarda a son tour et parut surpris de voir cette figure, si belle naguire, bouleversje par la rage et devenue presque hideuse. L'astucieuse crjature comprit qu'elle se perdait en laissant voir ainsi dans son vme ; elle rassjrjna ses traits, et d'une voix gjmissante : " Au nom du Ciel, Monsieur ! dites-moi si c'est a vous, si c'est a votre gouvernement, si c'est a un ennemi que je dois attribuer la violence que l'on me fait ? -- On ne vous fait aucune violence, Madame, et ce qui vous arrive est le rjsultat d'une mesure toute simple que nous sommes forcjs de prendre avec tous ceux qui djbarquent en Angleterre. -- Alors vous ne me connaissez pas, Monsieur ? -- C'est la premiire fois que j'ai l'honneur de vous voir. -- Et, sur votre honneur, vous n'avez aucun sujet de haine contre moi ? -- Aucun, je vous le jure. " Il y avait tant de sjrjnitj, de sang-froid, de douceur mkme dans la voix du jeune homme, que Milady fut rassurje. Enfin, apris une heure de marche a peu pris, la voiture s'arrkta devant une grille de fer qui fermait un chemin creux conduisant a un chvteau sjvire de forme, massif et isolj. Alors, comme les roues tournaient sur un sable fin, Milady entendit un vaste mugissement, qu'elle reconnut pour le bruit de la mer qui vient se briser sur une cfte escarpje. La voiture passa sous deux voytes, et enfin s'arrkta dans une cour sombre et carrje ; presque aussitft la portiire de la voiture s'ouvrit, le jeune homme sauta ljgirement a terre et prjsenta sa main a Milady, qui s'appuya dessus, et descendit a son tour avec assez de calme. " Toujours est-il, dit Milady en regardant autour d'elle et en ramenant ses yeux sur le jeune officier avec le plus gracieux sourire, que je suis prisonniire ; mais ce ne sera pas pour longtemps, j'en suis syre, ajouta- t-elle, ma conscience et votre politesse, Monsieur, m'en sont garants. " Si flatteur que fyt le compliment, l'officier ne rjpondit rien ; mais, tirant de sa ceinture un petit sifflet d'argent pareil a celui dont se servent les contremaotres sur les bvtiments de guerre, il siffla trois fois, sur trois modulations diffjrentes : alors plusieurs hommes parurent, djtelirent les chevaux fumants et emmenirent la voiture sous une remise. Puis l'officier, toujours avec la mkme politesse calme, invita sa prisonniire a entrer dans la maison. Celle-ci, toujours avec son mkme visage souriant, lui prit le bras, et entra avec lui sous une porte basse et cintrje qui, par une voyte jclairje seulement au fond, conduisait a un escalier de pierre tournant autour d'une arkte de pierre ; puis on s'arrkta devant une porte massive qui, apris l'introduction dans la serrure d'une clef que le jeune homme portait sur lui, roula lourdement sur ses gonds et donna ouverture a la chambre destinje a Milady. D'un seul regard, la prisonniire embrassa l'appartement dans ses moindres djtails. C'jtait une chambre dont l'ameublement jtait a la fois bien propre pour une prison et bien sjvire pour une habitation d'homme libre ; cependant, des barreaux aux fenktres et des verrous extjrieurs a la porte djcidaient le procis en faveur de la prison. Un instant toute la force d'vme de cette crjature, trempje cependant aux sources les plus vigoureuses, l'abandonna ; elle tomba sur un fauteuil, croisant les bras, baissant la tkte, et s'attendant a chaque instant a voir entrer un juge pour l'interroger. Mais personne n'entra, que deux ou trois soldats de marine qui apportirent les malles et les caisses, les djposirent dans un coin et se retirirent sans rien dire. L'officier prjsidait a tous ces djtails avec le mkme calme que Milady lui avait constamment vu, ne prononzant pas une parole lui-mkme, et se faisant objir d'un geste de sa main ou d'un coup de son sifflet. On eyt dit qu'entre cet homme et ses infjrieurs la langue parlje n'existait pas ou devenait inutile. Enfin Milady n'y put tenir plus longtemps, elle rompit le silence : " Au nom du Ciel, Monsieur ! s'jcria-t-elle, que veut dire tout ce qui se passe ? Fixez mes irrjsolutions ; j'ai du courage pour tout danger que je prjvois, pour tout malheur que je comprends. Oshch suis-je et que suis-je ici ? Suis-je libre, pourquoi ces barreaux et ces portes ? Suis-je prisonniire, quel crime ai-je commis ? -- Vous ktes ici dans l'appartement qui vous est destinj, Madame. J'ai rezu l'ordre d'aller vous prendre en mer et de vous conduire en ce chvteau : cet ordre, je l'ai accompli, je crois, avec toute la rigiditj d'un soldat, mais aussi avec toute la courtoisie d'un gentilhomme. La se termine, du moins jusqu'a prjsent, la charge que j'avais a remplir pris de vous, le reste regarde une autre personne. -- Et cette autre personne, quelle est-elle ? demanda Milady ; ne pouvez-vous me dire son nom ?... " En ce moment on entendit par les escaliers un grand bruit d'jperons ; quelques voix passirent et s'jteignirent, et le bruit d'un pas isolj se rapprocha de la porte. " Cette personne, la voici, Madame " , dit l'officier en djmasquant le passage, et en se rangeant dans l'attitude du respect et de la soumission. En mkme temps, la porte s'ouvrit ; un homme parut sur le seuil. Il jtait sans chapeau, portait l'jpje au cftj, et froissait un mouchoir entre ses doigts. Milady crut reconnaotre cette ombre dans l'ombre, elle s'appuya d'une main sur le bras de son fauteuil, et avanza la tkte comme pour aller au- devant d'une certitude. Alors l'jtranger s'avanza lentement ; et, a mesure qu'il s'avanzait en entrant dans le cercle de lumiire projetj par la lampe, Milady se reculait involontairement. Puis, lorsqu'elle n'eut plus aucun doute : " Eh quoi ! mon frire ! s'jcria-t-elle au comble de la stupeur, c'est vous ? -- Oui, belle dame ! rjpondit Lord de Winter en faisant un salut moitij courtois, moitij ironique, moi-mkme. -- Mais alors, ce chvteau ? -- Est a moi. -- Cette chambre ? -- C'est la vftre. -- Je suis donc votre prisonniire ? -- A peu pris. -- Mais c'est un affreux abus de la force ! -- Pas de grands mots ; asseyons-nous, et causons tranquillement, comme il convient de faire entre un frire et une soeur. " Puis, se retournant vers la porte, et voyant que le jeune officier attendait ses derniers ordres : " C'est bien, dit-il, je vous remercie ; maintenant, laissez-nous, Monsieur Felton. " CHAPITRE L. CAUSERIE D'UN FRERE AVEC SA SOEUR Pendant le temps que Lord de Winter mit a fermer la porte, a pousser un volet et a approcher un siige du fauteuil de sa belle-soeur, Milady, rkveuse, plongea son regard dans les profondeurs de la possibilitj, et djcouvrit toute la trame qu'elle n'avait pas mkme pu entrevoir, tant qu'elle ignorait en quelles mains elle jtait tombje. Elle connaissait son beau-frire pour un bon gentilhomme, franc-chasseur, joueur intrjpide, entreprenant pris des femmes, mais d'une force infjrieure a la sienne a l'endroit de l'intrigue. Comment avait-il pu djcouvrir son arrivje ? la faire saisir ? Pourquoi la retenait-il ? Athos lui avait bien dit quelques mots qui prouvaient que la conversation qu'elle avait eue avec le cardinal jtait tombje dans des oreilles jtrangires ; mais elle ne pouvait admettre qu'il eyt pu creuser une contre-mine si prompte et si hardie. Elle craignit bien plutft que ses prjcjdentes opjrations en Angleterre n'eussent jtj djcouvertes. Buckingham pouvait avoir devinj que c'jtait elle qui avait coupj les deux ferrets, et se venger de cette petite trahison ; mais Buckingham jtait incapable de se porter a aucun excis contre une femme, surtout si cette femme jtait censje avoir agi par un sentiment de jalousie. Cette supposition lui parut la plus probable ; il lui sembla qu'on voulait se venger du passj, et non aller au-devant de l'avenir. Toutefois, et en tout cas, elle s'applaudit d'ktre tombje entre les mains de son beau- frire, dont elle comptait avoir bon marchj, plutft qu'entre celles d'un ennemi direct et intelligent. " Oui, causons, mon frire, dit-elle avec une espice d'enjouement, djcidje qu'elle jtait a tirer de la conversation, malgrj toute la dissimulation que pourrait y apporter Lord de Winter, les jclaircissements dont elle avait besoin pour rjgler sa conduite a venir. -- Vous vous ktes donc djcidje a revenir en Angleterre, dit Lord de Winter, malgrj la rjsolution que vous m'aviez si souvent manifestje a Paris de ne jamais remettre les pieds sur le territoire de la Grande- Bretagne ? " Milady rjpondit a une question par une autre question. " Avant tout, dit-elle, apprenez-moi donc comment vous m'avez fait guetter assez sjvirement pour ktre d'avance prjvenu non seulement de mon arrivje, mais encore du jour, de l'heure et du port oshch j'arrivais. " Lord de Winter adopta la mkme tactique que Milady, pensant que, puisque sa belle-soeur l'employait, ce devait ktre la bonne. " Mais, dites-moi vous-mkme, ma chire soeur, reprit-il, ce que vous venez faire en Angleterre. -- Mais je viens vous voir, reprit Milady, sans savoir combien elle aggravait, par cette rjponse, les soupzons qu'avait fait naotre dans l'esprit de son beau-frire la lettre de d'Artagnan, et voulant seulement capter la bienveillance de son auditeur par un mensonge. -- Ah ! me voir ? dit sournoisement Lord de Winter. -- Sans doute, vous voir. Qu'y a-t-il d'jtonnant a cela ? -- Et vous n'avez pas, en venant en Angleterre, d'autre but que de me voir ? -- Non. -- Ainsi, c'est pour moi seul que vous vous ktes donnje la peine de traverser la Manche ? -- Pour vous seul. -- Peste ! quelle tendresse, ma soeur ! -- Mais ne suis-je pas votre plus proche parente ? demanda Milady du ton de la plus touchante napvetj. -- Et mkme ma seule hjritiire, n'est-ce pas ? " dit a son tour Lord de Winter, en fixant ses yeux sur ceux de Milady. Quelque puissance qu'elle eyt sur elle-mkme, Milady ne put s'empkcher de tressaillir, et comme, en prononzant les derniires paroles qu'il avait dites, Lord de Winter avait posj la main sur le bras de sa soeur, ce tressaillement ne lui jchappa point. En effet, le coup jtait direct et profond. La premiire idje qui vint a l'esprit de Milady fut qu'elle avait jtj trahie par Ketty, et que celle-ci avait racontj au baron cette aversion intjressje dont elle avait imprudemment laissj jchapper des marques devant sa suivante ; elle se rappela aussi la sortie furieuse et imprudente qu'elle avait faite contre d'Artagnan, lorsqu'il avait sauvj la vie de son beau-frire. " Je ne comprends pas, Milord, dit-elle pour gagner du temps et faire parler son adversaire. Que voulez-vous dire ? Et y a-t-il quelque sens inconnu cachj sous vos paroles ? -- Oh ! mon Dieu, non, dit Lord de Winter avec une apparente bonhomie ; vous avez le djsir de me voir, et vous venez en Angleterre. J'apprends ce djsir, ou plutft je me doute que vous l'jprouvez, et afin de vous jpargner tous les ennuis d'une arrivje nocturne dans un port, toutes les fatigues d'un djbarquement, j'envoie un de mes officiers au- devant de vous ; je mets une voiture a ses ordres, et il vous amine ici dans ce chvteau, dont je suis gouverneur, oshch je viens tous les jours, et oshch, pour que notre double djsir de nous voir soit satisfait, je vous fais prjparer une chambre. Qu'y a-t-il dans tout ce que je dis la de plus jtonnant que dans ce que vous m'avez dit ? -- Non, ce que je trouve d'jtonnant, c'est que vous ayez jtj prjvenu de mon arrivje. -- C'est cependant la chose la plus simple, ma chire soeur : n'avez- vous pas vu que le capitaine de votre petit bvtiment avait, en entrant dans la rade, envoyj en avant et afin d'obtenir son entrje dans le port, un petit canot porteur de son livre de loch et de son registre d'jquipage ? Je suis commandant du port, on m'a apportj ce livre, j'y ai reconnu votre nom. Mon coeur m'a dit ce que vient de me confier votre bouche, c'est-a-dire dans quel but vous vous exposiez aux dangers d'une mer si pjrilleuse ou tout au moins si fatigante en ce moment, et j'ai envoyj mon cutter au-devant de vous. Vous savez le reste. " Milady comprit que Lord de Winter mentait et n'en fut que plus effrayje. " Mon frire, continua-t-elle, n'est-ce pas Milord Buckingham que je vis sur la jetje, le soir, en arrivant ? -- Lui-mkme. Ah ! je comprends que sa vue vous ait frappje, reprit Lord de Winter : vous venez d'un pays oshch l'on doit beaucoup s'occuper de lui, et je sais que ses armements contre la France prjoccupent fort votre ami le cardinal. -- Mon ami le cardinal ! s'jcria Milady, voyant que, sur ce point comme sur l'autre, Lord de Winter paraissait instruit de tout. -- N'est-il donc point votre ami ? reprit njgligemment le baron ; ah ! pardon, je le croyais ; mais nous reviendrons a Milord duc plus tard, ne nous jcartons point du tour sentimental que la conversation avait pris : vous veniez, disiez-vous, pour me voir ? -- Oui. -- Eh bien, je vous ai rjpondu que vous seriez servie a souhait et que nous nous verrions tous les jours. -- Dois-je donc demeurer jternellement ici ? demanda Milady avec un certain effroi. -- Vous trouveriez-vous mal logje, ma soeur ? demandez ce qui vous manque, et je m'empresserai de vous le faire donner. -- Mais je n'ai ni mes femmes ni mes gens... -- Vous aurez tout cela, Madame ; dites-moi sur quel pied votre premier mari avait montj votre maison ; quoique je ne sois que votre beau-frire, je vous la monterai sur un pied pareil. -- Mon premier mari ! s'jcria Milady en regardant Lord de Winter avec des yeux effarjs. -- Oui, votre mari franzais ; je ne parle pas de mon frire. Au reste, si vous l'avez oublij, comme il vit encore, je pourrais lui jcrire et il me ferait passer des renseignements a ce sujet. " Une sueur froide perla sur le front de Milady. " Vous raillez, dit-elle d'une voix sourde. -- En ai-je l'air ? demanda le baron en se relevant et en faisant un pas en arriire. -- Ou plutft vous m'insultez, continua-t-elle en pressant de ses mains crispjes les deux bras du fauteuil et en se soulevant sur ses poignets. -- Vous insulter, moi ! dit Lord de Winter avec mjpris ; en vjritj, Madame, croyez-vous que ce soit possible ? -- En vjritj, Monsieur, dit Milady, vous ktes ou ivre ou insensj ; sortez et envoyez-moi une femme. -- Des femmes sont bien indiscrites, ma soeur ! ne pourrais-je pas vous servir de suivante ? de cette fazon tous nos secrets resteraient en famille. -- Insolent ! s'jcria Milady, et, comme mue par un ressort, elle bondit sur le baron, qui l'attendait avec impassibilitj, mais une main cependant sur la garde de son jpje. -- Eh ! eh ! dit-il, je sais que vous avez l'habitude d'assassiner les gens, mais je me djfendrai, moi, je vous en prjviens, fyt-ce contre vous. -- Oh ! vous avez raison, dit Milady, et vous me faites l'effet d'ktre assez lvche pour porter la main sur une femme. -- Peut-ktre que oui, d'ailleurs j'aurais mon excuse : ma main ne serait pas la premiire main d'homme qui se serait posje sur vous, j'imagine. " Et le baron indiqua d'un geste lent et accusateur l'jpaule gauche de Milady, qu'il toucha presque du doigt. Milady poussa un rugissement sourd, et se recula jusque dans l'angle de la chambre, comme une panthire qui veut s'acculer pour s'jlancer. " Oh ! rugissez tant que vous voudrez, s'jcria Lord de Winter, mais n'essayez pas de mordre, car, je vous en prjviens, la chose tournerait a votre prjjudice : il n'y a pas ici de procureurs qui riglent d'avance les successions, il n'y a pas de chevalier errant qui vienne me chercher querelle pour la belle dame que je retiens prisonniire ; mais je tiens tout prkts des juges qui disposeront d'une femme assez jhontje pour venir se glisser, bigame, dans le lit de Lord de Winter, mon frire aonj, et ces juges, je vous en prjviens, vous enverront a un bourreau qui vous fera les deux jpaules pareilles. " Les yeux de Milady lanzaient de tels jclairs, que quoiqu'il fyt homme et armj devant une femme djsarmje, il sentit le froid de la peur se glisser jusqu'au fond de son vme ; il n'en continua pas moins, mais avec une fureur croissante : " Oui, je comprends, apris avoir hjritj de mon frire, il vous eyt jtj doux d'hjriter de moi ; mais, sachez-le d'avance, vous pouvez me tuer ou me faire tuer, mes prjcautions sont prises, pas un penny de ce que je posside ne passera dans vos mains. N'ktes-vous pas djja assez riche, vous qui possjdez pris d'un million, et ne pouviez-vous vous arrkter dans votre route fatale, si vous ne faisiez le mal que pour la jouissance infinie et suprkme de le faire ? Oh ! tenez, je vous le dis, si la mjmoire de mon frire ne m'jtait sacrje, vous iriez pourrir dans un cachot d'Etat ou rassasier a Tyburn la curiositj des matelots ; je me tairai, mais vous, supportez tranquillement votre captivitj ; dans quinze ou vingt jours je pars pour La Rochelle avec l'armje ; mais la veille de mon djpart, un vaisseau viendra vous prendre, que je verrai partir et qui vous conduira dans nos colonies du Sud ; et, soyez tranquille, je vous adjoindrai un compagnon qui vous brylera la cervelle a la premiire tentative que vous risquerez pour revenir en Angleterre ou sur le continent. " Milady jcoutait avec une attention qui dilatait ses yeux enflammjs. " Oui, mais a cette heure, continua Lord de Winter, vous demeurerez dans ce chvteau : les murailles en sont jpaisses, les portes en sont fortes, les barreaux en sont solides ; d'ailleurs votre fenktre donne a pic sur la mer : les hommes de mon jquipage, qui me sont djvoujs a la vie et a la mort, montent la garde autour de cet appartement, et surveillent tous les passages qui conduisent a la cour ; puis arrivje a la cour, il vous resterait encore trois grilles a traverser. La consigne est prjcise : un pas, un geste, un mot qui simule une jvasion, et l'on fait feu sur vous ; si l'on vous tue, la justice anglaise m'aura, je l'espire, quelque obligation de lui avoir jpargnj de la besogne. Ah ! vos traits reprennent leur calme, votre visage retrouve son assurance : Quinze jours, vingt jours dites-vous, bah ! d'ici la, j'ai l'esprit inventif, il me viendra quelque idje ; j'ai l'esprit infernal, et je trouverai quelque victime. D'ici a quinze jours, vous dites-vous, je serai hors d'ici. Ah ! ah ! essayez ! " Milady se voyant devinje s'enfonza les ongles dans la chair pour dompter tout mouvement qui eyt pu donner a sa physionomie une signification quelconque, autre que celle de l'angoisse. Lord de Winter continua : " L'officier qui commande seul ici en mon absence, vous l'avez vu, donc vous le connaissez djja, sait, comme vous voyez, observer une consigne, car vous n'ktes pas, je vous connais, venue de Portsmouth ici sans avoir essayj de le faire parler. Qu'en dites-vous ? Une statue de marbre eyt-elle jtj plus impassible et plus muette ? Vous avez djja essayj le pouvoir de vos sjductions sur bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours rjussi ; mais essayez sur celui-la, pardieu ! si vous en venez a bout, je vous djclare le djmon lui-mkme. " Il alla vers la porte et l'ouvrit brusquement. " Qu'on appelle M. Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et je vais vous recommander a lui. " Il se fit entre ces deux personnages un silence jtrange, pendant lequel on entendit le bruit d'un pas lent et rjgulier qui se rapprochait ; bientft, dans l'ombre du corridor, on vit se dessiner une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons djja fait connaissance s'arrkta sur le seuil, attendant les ordres du baron. " Entrez, mon cher John, dit Lord de Winter, entrez et fermez la porte. " Le jeune officier entra. " Maintenant, dit le baron, regardez cette femme : elle est jeune, elle est belle, elle a toutes les sjductions de la terre, Eh bien, c'est un monstre qui, a vingt-cinq ans, s'est rendu coupable d'autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les archives de nos tribunaux ; sa voix prjvient en sa faveur, sa beautj sert d'appvt aux victimes, son corps mkme paye ce qu'elle a promis, c'est une justice a lui rendre ; elle essayera de vous sjduire, peut-ktre mkme essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai tirj de la misire, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je vous ai sauvj la vie une fois, vous savez a quelle occasion ; je suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami ; non seulement un bienfaiteur, mais un pire ; cette femme est revenue en Angleterre afin de conspirer contre ma vie ; je tiens ce serpent entre mes mains ; Eh bien, je vous fais appeler et vous dis : Ami Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette femme ; jure sur ton salut de la conserver pour le chvtiment qu'elle a mjritj. John Felton, je me fie a ta parole ; John Felton, je crois a ta loyautj. -- Milord, dit le jeune officier en chargeant son regard pur de toute la haine qu'il put trouver dans son coeur, Milord, je vous jure qu'il sera fait comme vous djsirez. " Milady rezut ce regard en victime rjsignje : il jtait impossible de voir une expression plus soumise et plus douce que celle qui rjgnait alors sur son beau visage. A peine si Lord de Winter lui-mkme reconnut la tigresse qu'un instant auparavant il s'apprktait a combattre. " Elle ne sortira jamais de cette chambre, entendez-vous, John, continua le baron ; elle ne correspondra avec personne, elle ne parlera qu'a vous, si toutefois vous voulez bien lui faire l'honneur de lui adresser la parole. -- Il suffit, Milord, j'ai jurj. -- Et maintenant, Madame, tvchez de faire la paix avec Dieu, car vous ktes jugje par les hommes. " Milady laissa tomber sa tkte comme si elle se fyt sentie jcrasje par ce jugement. Lord de Winter sortit en faisant un geste a Felton, qui sortit derriire lui et ferma la porte. Un instant apris on entendait dans le corridor le pas pesant d'un soldat de marine qui faisait sentinelle, sa hache a la ceinture et son mousquet a la main. Milady demeura pendant quelques minutes dans la mkme position, car elle songea qu'on l'examinait peut-ktre par la serrure ; puis lentement elle releva sa tkte, qui avait repris une expression formidable de menace et de djfi, courut jcouter a la porte, regarda par la fenktre, et revenant s'enterrer dans un vaste fauteuil, elle songea. CHAPITRE LI. OFFICIER Cependant le cardinal attendait des nouvelles d'Angleterre, mais aucune nouvelle n'arrivait, si ce n'est fvcheuse et menazante. Si bien que La Rochelle fyt investie, si certain que pyt paraotre le succis, grvce aux prjcautions prises et surtout a la digue qui ne laissait plus pjnjtrer aucune barque dans la ville assijgje, cependant le blocus pouvait durer longtemps encore ; et c'jtait un grand affront pour les armes du roi et une grande gkne pour M. le cardinal, qui n'avait plus, il est vrai, a brouiller Louis XIII avec Anne d'Autriche, la chose jtait faite, mais a raccommoder M. de Bassompierre, qui jtait brouillj avec le duc d'Angoulkme. Quant a Monsieur, qui avait commencj le siige, il laissait au cardinal le soin de l'achever. La ville, malgrj l'incroyable persjvjrance de son maire, avait tentj une espice de mutinerie pour se rendre ; le maire avait fait pendre les jmeutiers. Cette exjcution calma les plus mauvaises tktes, qui se djcidirent alors a se laisser mourir de faim. Cette mort leur paraissait toujours plus lente et moins syre que le trjpas par strangulation. De leur cftj, de temps en temps, les assijgeants prenaient des messagers que les Rochelois envoyaient a Buckingham ou des espions que Buckingham envoyait aux Rochelois. Dans l'un et l'autre cas le procis jtait vite fait. M. le cardinal disait ce seul mot : Pendu ! On invitait le roi a venir voir la pendaison. Le roi venait languissamment, se mettait en bonne place pour voir l'opjration dans tous ses djtails : cela le distrayait toujours un peu et lui faisait prendre le siige en patience, mais cela ne l'empkchait pas de s'ennuyer fort, de parler a tout moment de retourner a Paris ; de sorte que si les messagers et les espions eussent fait djfaut, Son Eminence, malgrj toute son imagination, se fyt trouvje fort embarrassje. Njanmoins le temps passait, les Rochelois ne se rendaient pas : le dernier espion que l'on avait pris jtait porteur d'une lettre. Cette lettre disait bien a Buckingham que la ville jtait a toute extrjmitj ; mais, au lieu d'ajouter : " Si votre secours n'arrive pas avant quinze jours, nous nous rendrons " , elle ajoutait tout simplement : " Si votre secours n'arrive pas avant quinze jours, nous serons tous morts de faim quand il arrivera. " Les Rochelois n'avaient donc espoir qu'en Buckingham. Buckingham jtait leur Messie. Il jtait jvident que si un jour ils apprenaient d'une maniire certaine qu'il ne fallait plus compter sur Buckingham, avec l'espoir leur courage tomberait. Le cardinal attendait donc avec grande impatience des nouvelles d'Angleterre qui devaient annoncer que