Buckingham ne viendrait pas. La question d'emporter la ville de vive force, djbattue souvent dans le conseil du roi, avait toujours jtj jcartje ; d'abord La Rochelle semblait imprenable, puis le cardinal, quoi qu'il eyt dit, savait bien que l'horreur du sang rjpandu en cette rencontre, oshch Franzais devaient combattre contre Franzais, jtait un mouvement rjtrograde de soixante ans imprimj a la politique, et le cardinal jtait, a cette jpoque, ce qu'on appelle aujourd'hui un homme de progris. En effet, le sac de La Rochelle, l'assassinat de trois ou quatre mille huguenots qui se fussent fait tuer ressemblaient trop, en 1628, au massacre de la Saint- Barthjljmy, en 1572 ; et puis, par-dessus tout cela, ce moyen extrkme, auquel le roi, bon catholique, ne rjpugnait aucunement, venait toujours jchouer contre cet argument des gjnjraux assijgeants : La Rochelle est imprenable autrement que par la famine. Le cardinal ne pouvait jcarter de son esprit la crainte oshch le jetait sa terrible jmissaire, car il avait compris, lui aussi, les proportions jtranges de cette femme, tantft serpent, tantft lion. L'avait-elle trahi ? jtait-elle morte ? Il la connaissait assez, en tout cas, pour savoir qu'en agissant pour lui ou contre lui, amie ou ennemie, elle ne demeurait pas immobile sans de grands empkchements. C'jtait ce qu'il ne pouvait savoir. Au reste, il comptait, et avec raison, sur Milady : il avait devinj dans le passj de cette femme de ces choses terribles que son manteau rouge pouvait seul couvrir ; et il sentait que, pour une cause ou pour une autre, cette femme lui jtait acquise, ne pouvant trouver qu'en lui un appui supjrieur au danger qui la menazait. Il rjsolut donc de faire la guerre tout seul et de n'attendre tout succis jtranger que comme on attend une chance heureuse. Il continua de faire jlever la fameuse digue qui devait affamer La Rochelle ; en attendant, il jeta les yeux sur cette malheureuse ville, qui renfermait tant de misire profonde et tant d'hjropques vertus, et, se rappelant le mot de Louis XI, son prjdjcesseur politique, comme lui-mkme jtait le prjdjcesseur de Robespierre, il murmura cette maxime du compire de Tristan : " Diviser pour rjgner. " Henri IV, assijgeant Paris, faisait jeter par-dessus les murailles du pain et des vivres ; le cardinal fit jeter des petits billets par lesquels il reprjsentait aux Rochelois combien la conduite de leurs chefs jtait injuste, jgopste et barbare ; ces chefs avaient du blj en abondance, et ne le partageaient pas ; ils adoptaient cette maxime, car eux aussi avaient des maximes, que peu importait que les femmes, les enfants et les vieillards mourussent, pourvu que les hommes qui devaient djfendre leurs murailles restassent forts et bien portants. Jusque-la, soit djvouement, soit impuissance de rjagir contre elle, cette maxime, sans ktre gjnjralement adoptje, jtait cependant passje de la thjorie a la pratique ; mais les billets vinrent y porter atteinte. Les billets rappelaient aux hommes que ces enfants, ces femmes, ces vieillards qu'on laissait mourir jtaient leurs fils, leurs jpouses et leurs pires ; qu'il serait plus juste que chacun fyt rjduit a la misire commune, afin qu'une mkme position fot prendre des rjsolutions unanimes. Ces billets firent tout l'effet qu'en pouvait attendre celui qui les avait jcrits, en ce qu'ils djterminirent un grand nombre d'habitants a ouvrir des njgociations particuliires avec l'armje royale. Mais au moment oshch le cardinal voyait djja fructifier son moyen et s'applaudissait de l'avoir mis en usage, un habitant de La Rochelle, qui avait pu passer a travers les lignes royales, Dieu sait comment, tant jtait grande la surveillance de Bassompierre, de Schomberg et du duc d'Angoulkme, surveilljs eux-mkmes par le cardinal, un habitant de La Rochelle, disons-nous, entra dans la ville, venant de Portsmouth et disant qu'il avait vu une flotte magnifique prkte a mettre a la voile avant huit jours. De plus, Buckingham annonzait au maire qu'enfin la grande ligue contre la France allait se djclarer, et que le royaume allait ktre envahi a la fois par les armjes anglaises, impjriales et espagnoles. Cette lettre fut lue publiquement sur toutes les places, on en afficha des copies aux angles des rues, et ceux-la mkmes qui avaient commencj d'ouvrir des njgociations les interrompirent, rjsolus d'attendre ce secours si pompeusement annoncj. Cette circonstance inattendue rendit a Richelieu ses inquijtudes premiires, et le forza malgrj lui a tourner de nouveau les yeux de l'autre cftj de la mer. Pendant ce temps, exempte des inquijtudes de son seul et vjritable chef, l'armje royale menait joyeuse vie ; les vivres ne manquaient pas au camp, ni l'argent non plus ; tous les corps rivalisaient d'audace et de gaietj. Prendre des espions et les pendre, faire des expjditions hasardeuses sur la digue ou sur la mer, imaginer des folies, les exjcuter froidement, tel jtait le passe-temps qui faisait trouver courts a l'armje ces jours si longs, non seulement pour les Rochelois, rongjs par la famine et l'anxijtj, mais encore pour le cardinal qui les bloquait si vivement. Quelquefois, quand le cardinal, toujours chevauchant comme le dernier gendarme de l'armje, promenait son regard pensif sur ces ouvrages, si lents au grj de son djsir, qu'jlevaient sous son ordre les ingjnieurs qu'il faisait venir de tous les coins du royaume de France, s'il rencontrait un mousquetaire de la compagnie de Trjville, il s'approchait de lui, le regardait d'une fazon singuliire, et ne le reconnaissant pas pour un de nos quatre compagnons, il laissait aller ailleurs son regard profond et sa vaste pensje. Un jour oshch, rongj d'un mortel ennui, sans espjrance dans les njgociations avec la ville, sans nouvelles d'Angleterre, le cardinal jtait sorti sans autre but que de sortir, accompagnj seulement de Cahusac et de La Houdiniire, longeant les grives et mklant l'immensitj de ses rkves a l'immensitj de l'ocjan, il arriva au petit pas de son cheval sur une colline du haut de laquelle il aperzut derriire une haie, couchjs sur le sable et prenant au passage un de ces rayons de soleil si rares a cette jpoque de l'annje, sept hommes entourjs de bouteilles vides. Quatre de ces hommes jtaient nos mousquetaires s'apprktant a jcouter la lecture d'une lettre que l'un d'eux venait de recevoir. Cette lettre jtait si importante, qu'elle avait fait abandonner sur un tambour des cartes et des djs. Les trois autres s'occupaient a djcoiffer une jnorme dame-jeanne de vin de Collioure ; c'jtaient les laquais de ces Messieurs. Le cardinal, comme nous l'avons dit, jtait de sombre humeur, et rien, quand il jtait dans cette situation d'esprit, ne redoublait sa maussaderie comme la gaietj des autres. D'ailleurs, il avait une prjoccupation jtrange, c'jtait de croire toujours que les causes mkmes de sa tristesse excitaient la gaietj des jtrangers. Faisant signe a La Houdiniire et a Cahusac de s'arrkter, il descendit de cheval et s'approcha de ces rieurs suspects, espjrant qu'a l'aide du sable qui assourdissait ses pas, et de la haie qui voilait sa marche, il pourrait entendre quelques mots de cette conversation qui lui paraissait si intjressante ; a dix pas de la haie seulement il reconnut le babil gascon de d'Artagnan, et comme il savait djja que ces hommes jtaient des mousquetaires, il ne douta pas que les trois autres ne fussent ceux qu'on appelait les insjparables, c'est-a- dire Athos, Porthos et Aramis. On juge si son djsir d'entendre la conversation s'augmenta de cette djcouverte ; ses yeux prirent une expression jtrange, et d'un pas de chat-tigre il s'avanza vers la haie ; mais il n'avait pu saisir encore que des syllabes vagues et sans aucun sens positif, lorsqu'un cri sonore et bref le fit tressaillir et attira l'attention des mousquetaires. " Officier ! cria Grimaud. -- Vous parlez, je crois, drfle " , dit Athos se soulevant sur un coude et fascinant Grimaud de son regard flamboyant. Aussi Grimaud n'ajouta-t-il point une parole, se contentant de tendre le doigt indicateur dans la direction de la haie et djnonzant par ce geste le cardinal et son escorte. D'un seul bond les quatre mousquetaires furent sur pied et saluirent avec respect. Le cardinal semblait furieux. " Il paraot qu'on se fait garder chez Messieurs les mousquetaires ! dit- il. Est-ce que l'Anglais vient par terre, ou serait-ce que les mousquetaires se regardent comme des officiers supjrieurs ? -- Monseigneur, rjpondit Athos, car au milieu de l'effroi gjnjral lui seul avait conservj ce calme et ce sang-froid de grand seigneur qui ne le quittaient jamais, Monseigneur, les mousquetaires, lorsqu'ils ne sont pas de service, ou que leur service est fini, boivent et jouent aux djs, et ils sont des officiers tris supjrieurs pour leurs laquais. -- Des laquais ! grommela le cardinal, des laquais qui ont la consigne d'avertir leurs maotres quand passe quelqu'un, ce ne sont point des laquais, ce sont des sentinelles. -- Son Eminence voit bien cependant que si nous n'avions point pris cette prjcaution, nous jtions exposjs a la laisser passer sans lui prjsenter nos respects et lui offrir nos remerciements pour la grvce qu'elle nous a faite de nous rjunir. D'Artagnan, continua Athos, vous qui tout a l'heure demandiez cette occasion d'exprimer votre reconnaissance a Monseigneur, la voici venue, profitez-en. " Ces mots furent prononcjs avec ce flegme imperturbable qui distinguait Athos dans les heures du danger, et cette excessive politesse qui faisait de lui dans certains moments un roi plus majestueux que les rois de naissance. D'Artagnan s'approcha et balbutia quelques paroles de remerciements, qui bientft expirirent sous le regard assombri du cardinal. " N'importe, Messieurs, continua le cardinal sans paraotre le moins du monde djtournj de son intention premiire par l'incident qu'Athos avait soulevj ; n'importe, Messieurs, je n'aime pas que de simples soldats, parce qu'ils ont l'avantage de servir dans un corps priviljgij, fassent ainsi les grands seigneurs, et la discipline est la mkme pour eux que pour tout le monde. " Athos laissa le cardinal achever parfaitement sa phrase, et, s'inclinant en signe d'assentiment, il reprit a son tour : " La discipline, Monseigneur, n'a en aucune fazon, je l'espire, jtj oublije par nous. Nous ne sommes pas de service, et nous avons cru que, n'jtant pas de service, nous pouvions disposer de notre temps comme bon nous semblait. Si nous sommes assez heureux pour que Son Eminence ait quelque ordre particulier a nous donner, nous sommes prkts a lui objir. Monseigneur voit, continua Athos en fronzant le sourcil, car cette espice d'interrogatoire commenzait a l'impatienter, que, pour ktre prkts a la moindre alerte, nous sommes sortis avec nos armes. " Et il montra du doigt au cardinal les quatre mousquets en faisceau pris du tambour sur lequel jtaient les cartes et les djs. " Que Votre Eminence veuille croire, ajouta d'Artagnan, que nous nous serions portjs au-devant d'elle si nous eussions pu supposer que c'jtait elle qui venait vers nous en si petite compagnie. " Le cardinal se mordait les moustaches et un peu les livres. " Savez-vous de quoi vous avez l'air, toujours ensemble, comme vous voila, armjs comme vous ktes, et gardjs par vos laquais ? dit le cardinal, vous avez l'air de quatre conspirateurs. -- Oh ! quant a ceci, Monseigneur, c'est vrai, dit Athos, et nous conspirons, comme Votre Eminence a pu le voir l'autre matin, seulement c'est contre les Rochelois. -- Eh ! Messieurs les politiques, reprit le cardinal en fronzant le sourcil a son tour, on trouverait peut-ktre dans vos cervelles le secret de bien des choses qui sont ignorjes, si on pouvait y lire comme vous lisiez dans cette lettre que vous avez cachje quand vous m'avez vu venir. " Le rouge monta a la figure d'Athos, il fit un pas vers Son Eminence. " On dirait que vous nous soupzonnez rjellement, Monseigneur, et que nous subissons un vjritable interrogatoire ; s'il en est ainsi, que Votre Eminence daigne s'expliquer, et nous saurons du moins a quoi nous en tenir. -- Et quand cela serait un interrogatoire, reprit le cardinal, d'autres que vous en ont subi, Monsieur Athos, et y ont rjpondu. -- Aussi, Monseigneur, ai-je dit a Votre Eminence qu'elle n'avait qu'a questionner, et que nous jtions prkts a rjpondre. -- Quelle jtait cette lettre que vous alliez lire, Monsieur Aramis, et que vous avez cachje ? -- Une lettre de femme, Monseigneur. -- Oh ! je conzois, dit le cardinal, il faut ktre discret pour ces sortes de lettres ; mais cependant on peut les montrer a un confesseur, et, vous le savez, j'ai rezu les ordres. -- Monseigneur, dit Athos avec un calme d'autant plus terrible qu'il jouait sa tkte en faisant cette rjponse, la lettre est d'une femme, mais elle n'est signje ni Marion de Lorme, ni Mme d'Aiguillon. " Le cardinal devint pvle comme la mort, un jclair fauve sortit de ses yeux ; il se retourna comme pour donner un ordre a Cahusac et a La Houdiniire. Athos vit le mouvement ; il fit un pas vers les mousquetons, sur lesquels les trois amis avaient les yeux fixjs en hommes mal disposjs a se laisser arrkter. Le cardinal jtait, lui, troisiime ; les mousquetaires, y compris les laquais, jtaient sept : il jugea que la partie serait d'autant moins jgale, qu'Athos et ses compagnons conspiraient rjellement ; et, par un de ces retours rapides qu'il tenait toujours a sa disposition, toute sa colire se fondit dans un sourire. " Allons, allons ! dit-il, vous ktes de braves jeunes gens, fiers au soleil, fidiles dans l'obscuritj ; il n'y a pas de mal a veiller sur soi quand on veille si bien sur les autres ; Messieurs, je n'ai point oublij la nuit oshch vous m'avez servi d'escorte pour aller au Colombier-Rouge ; s'il y avait quelque danger a craindre sur la route que je vais suivre, je vous prierais de m'accompagner ; mais, comme il n'y en a pas, restez oshch vous ktes, achevez vos bouteilles, votre partie et votre lettre. Adieu, Messieurs. " Et, remontant sur son cheval, que Cahusac lui avait amenj, il les salua de la main et s'jloigna. Les quatre jeunes gens, debout et immobiles, le suivirent des yeux sans dire un seul mot jusqu'a ce qu'il eyt disparu. Puis ils se regardirent. Tous avaient la figure consternje, car malgrj l'adieu amical de Son Eminence, ils comprenaient que le cardinal s'en allait la rage dans le coeur. Athos seul souriait d'un sourire puissant et djdaigneux. Quand le cardinal fut hors de la portje de la voix et de la vue : " Ce Grimaud a crij bien tard ! " dit Porthos, qui avait grande envie de faire tomber sa mauvaise humeur sur quelqu'un. Grimaud allait rjpondre pour s'excuser. Athos leva le doigt et Grimaud se tut. " Auriez-vous rendu la lettre, Aramis ? dit d'Artagnan. -- Moi, dit Aramis de sa voix la plus flytje, j'jtais djcidj : s'il avait exigj que la lettre lui fyt remise, je lui prjsentais la lettre d'une main, et de l'autre je lui passais mon jpje au travers du corps. -- Je m'y attendais bien, dit Athos ; voila pourquoi je me suis jetj entre vous et lui. En vjritj, cet homme est bien imprudent de parler ainsi a d'autres hommes ; on dirait qu'il n'a jamais eu affaire qu'a des femmes et a des enfants. -- Mon cher Athos, dit d'Artagnan, je vous admire, mais cependant nous jtions dans notre tort, apris tout. -- Comment, dans notre tort ! reprit Athos. A qui donc cet air que nous respirons ? A qui cet ocjan sur lequel s'jtendent nos regards ? A qui ce sable sur lequel nous jtions couchjs ? A qui cette lettre de votre maotresse ? Est-ce au cardinal ? Sur mon honneur, cet homme se figure que le monde lui appartient ; vous jtiez la, balbutiant, stupjfait, anjanti ; on eyt dit que la Bastille se dressait devant vous et que la gigantesque Mjduse vous changeait en pierre. Est-ce que c'est conspirer, voyons, que d'ktre amoureux ? Vous ktes amoureux d'une femme que le cardinal a fait enfermer, vous voulez la tirer des mains du cardinal ; c'est une partie que vous jouez avec Son Eminence : cette lettre c'est votre jeu ; pourquoi montreriez-vous votre jeu a votre adversaire ? cela ne se fait pas . Qu'il le devine, a la bonne heure ! Nous devinons bien le sien, nous ! -- Au fait, dit d'Artagnan, c'est plein de sens, ce que vous dites la, Athos. -- En ce cas, qu'il ne soit plus question de ce qui vient de se passer, et qu'Aramis reprenne la lettre de sa cousine oshch M. le cardinal l'a interrompue. " Aramis tira la lettre de sa poche, les trois amis se rapprochirent de lui, et les trois laquais se groupirent de nouveau aupris de la dame-jeanne. " Vous n'aviez lu qu'une ligne ou deux, dit d'Artagnan, reprenez donc la lettre a partir du commencement. --- Volontiers " , dit Aramis. " Mon cher cousin, je crois bien que je me djciderai a partir pour Stenay, oshch ma soeur a fait entrer notre petite servante dans le couvent des Carmjlites ; cette pauvre enfant s'est rjsignje, elle sait qu'elle ne peut vivre autre part sans que le salut de son vme soit en danger. Cependant, si les affaires de notre famille s'arrangent comme nous le djsirons, je crois qu'elle courra le risque de se damner, et qu'elle reviendra pris de ceux qu'elle regrette, d'autant plus qu'elle sait qu'on pense toujours a elle. En attendant, elle n'est pas trop malheureuse : tout ce qu'elle djsire c'est une lettre de son prjtendu. Je sais bien que ces sortes de denrjes passent difficilement par les grilles ; mais, apris tout, comme je vous en ai donnj des preuves, mon cher cousin, je ne suis pas trop maladroite et je me chargerai de cette commission. Ma soeur vous remercie de votre bon et jternel souvenir. Elle a eu un instant de grande inquijtude ; mais enfin elle est quelque peu rassurje maintenant, ayant envoyj son commis la-bas afin qu'il ne s'y passe rien d'imprjvu. " Adieu, mon cher cousin, donnez-nous de vos nouvelles le plus souvent que vous pourrez, c'est-a-dire toutes les fois que vous croirez pouvoir le faire syrement. Je vous embrasse. " " MARIE MICHON. " " Oh ! que ne vous dois-je pas, Aramis ? s'jcria d'Artagnan. Chire Constance ! j'ai donc enfin de ses nouvelles ; elle vit, elle est en syretj dans un couvent, elle est a Stenay ! Oshch prenez-vous Stenay, Athos ? -- Mais a quelques lieues des frontiires ; une fois le siige levj, nous pourrons aller faire un tour de ce cftj. -- Et ce ne sera pas long, il faut l'espjrer, dit Porthos, car on a, ce matin, pendu un espion, lequel a djclarj que les Rochelois en jtaient aux cuirs de leurs souliers. En supposant qu'apris avoir mangj le cuir ils mangent la semelle, je ne vois pas trop ce qui leur restera apris, a moins de se manger les uns les autres. -- Pauvres sots ! dit Athos en vidant un verre d'excellent vin de Bordeaux, qui, sans avoir a cette jpoque la rjputation qu'il a aujourd'hui, ne la mjritait pas moins ; pauvres sots ! comme si la religion catholique n'jtait pas la plus avantageuse et la plus agrjable des religions ! C'est jgal, reprit-il apris avoir fait claquer sa langue contre son palais, ce sont de braves gens. Mais que diable faites-vous donc, Aramis ? continua Athos ; vous serrez cette lettre dans votre poche ? -- Oui, dit d'Artagnan, Athos a raison, il faut la bryler ; encore, qui sait si M. le cardinal n'a pas un secret pour interroger les cendres ? -- Il doit en avoir un, dit Athos. -- Mais que voulez-vous faire de cette lettre ? demanda Porthos. -- Venez ici, Grimaud " , dit Athos. Grimaud se leva et objit. " Pour vous punir d'avoir parlj sans permission, mon ami, vous allez manger ce morceau de papier, puis, pour vous rjcompenser du service que vous nous aurez rendu, vous boirez ensuite ce verre de vin ; voici la lettre d'abord, mvchez avec jnergie. " Grimaud sourit, et, les yeux fixjs sur le verre qu'Athos venait de remplir bord a bord, il broya le papier et l'avala. " Bravo, maotre Grimaud ! dit Athos, et maintenant prenez ceci ; bien, je vous dispense de dire merci. " Grimaud avala silencieusement le verre de vin de Bordeaux, mais ses yeux levjs au ciel parlaient, pendant tout le temps que dura cette douce occupation, un langage qui, pour ktre muet, n'en jtait pas moins expressif. " Et maintenant, dit Athos, a moins que M. le cardinal n'ait l'ingjnieuse idje de faire ouvrir le ventre a Grimaud, je crois que nous pouvons ktre a peu pris tranquilles. " Pendant ce temps, Son Eminence continuait sa promenade mjlancolique en murmurant entre ses moustaches : " Djcidjment, il faut que ces quatre hommes soient a moi. " CHAPITRE LII. PREMIERE JOURNEE DE CAPTIVITE Revenons a Milady, qu'un regard jetj sur les cftes de France nous a fait perdre de vue un instant. Nous la retrouverons dans la position djsespjrje oshch nous l'avons laissje, se creusant un abome de sombres rjflexions, sombre enfer a la porte duquel elle a presque laissj l'espjrance : car pour la premiire fois elle doute, pour la premiire fois elle craint. Dans deux occasions sa fortune lui a manquj, dans deux occasions elle s'est vue djcouverte et trahie, et dans ces deux occasions, c'est contre le gjnie fatal envoyj sans doute par le Seigneur pour la combattre qu'elle a jchouj : d'Artagnan l'a vaincue, elle, cette invincible puissance du mal. Il l'a abusje dans son amour, humilije dans son orgueil, trompje dans son ambition, et maintenant voila qu'il la perd dans sa fortune, qu'il l'atteint dans sa libertj, qu'il la menace mkme dans sa vie. Bien plus, il a levj un coin de son masque, cette jgide dont elle se couvre et qui la rend si forte. D'Artagnan a djtournj de Buckingham, qu'elle hait, comme elle hait tout ce qu'elle a aimj, la tempkte dont le menazait Richelieu dans la personne de la reine. D'Artagnan s'est fait passer pour de Wardes, pour lequel elle avait une de ces fantaisies de tigresse, indomptables comme en ont les femmes de ce caractire. D'Artagnan connaot ce terrible secret qu'elle a jurj que nul ne connaotrait sans mourir. Enfin, au moment oshch elle vient d'obtenir un blanc-seing a l'aide duquel elle va se venger de son ennemi, le blanc-seing lui est arrachj des mains, et c'est d'Artagnan qui la tient prisonniire et qui va l'envoyer dans quelque immonde Botany Bay, dans quelque Tyburn infvme de l'ocjan Indien. Car tout cela lui vient de d'Artagnan sans doute ; de qui viendraient tant de hontes amassjes sur sa tkte sinon de lui ? Lui seul a pu transmettre a Lord de Winter tous ces affreux secrets, qu'il a djcouverts les uns apris les autres par une sorte de fatalitj. Il connaot son beau-frire, il lui aura jcrit. Que de haine elle distille ! La, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement djsert, comme les jclats de ses rugissements sourds, qui parfois s'jchappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser, comme un djsespoir jternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est bvti ce chvteau sombre et orgueilleux ! Comme, a la lueur des jclairs que sa colire orageuse fait briller dans son esprit, elle conzoit contre Mme Bonacieux, contre Buckingham, et surtout contre d'Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l'avenir ! Oui, mais pour se venger il faut ktre libre, et pour ktre libre, quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher ; toutes entreprises que peut mener a bout un homme patient et fort mais devant lesquelles doivent jchouer les irritations fjbriles d'une femme. D'ailleurs, pour faire tout cela il faut avoir le temps, des mois, des annjes, et elle... elle a dix ou douze jours, a ce que lui a dit Lord de Winter, son fraternel et terrible geflier. Et cependant, si elle jtait un homme, elle tenterait tout cela, et peut- ktre rjussirait-elle : pourquoi donc le Ciel s'est-il ainsi trompj, en mettant cette vme virile dans ce corps frkle et djlicat ! Aussi les premiers moments de la captivitj ont jtj terribles : quelques convulsions de rage qu'elle n'a pu vaincre ont payj sa dette de faiblesse fjminine a la nature. Mais peu a peu elle a surmontj les jclats de sa folle colire, les frjmissements nerveux qui ont agitj son corps ont disparu, et maintenant elle s'est replije sur elle-mkme comme un serpent fatiguj qui se repose. " Allons, allons ; j'jtais folle de m'emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace, qui reflite dans ses yeux son regard brylant, par lequel elle semble s'interroger elle-mkme. Pas de violence, la violence est une preuve de faiblesse. D'abord je n'ai jamais rjussi par ce moyen : peut- ktre, si j'usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par consjquent de les vaincre ; mais c'est contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu'une femme pour eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse. " Alors, comme pour se rendre compte a elle-mkme des changements qu'elle pouvait imposer a sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre a la fois toutes les expressions, depuis celle de la colire qui crispait ses traits, jusqu'a celle du plus doux, du plus affectueux et du plus sjduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu'elle crut pouvoir aider aux charmes de son visage. Enfin elle murmura, satisfaite d'elle-mkme : " Allons, rien n'est perdu. Je suis toujours belle. " Il jtait huit heures du soir a peu pris. Milady aperzut un lit ; elle pensa qu'un repos de quelques heures rafraochirait non seulement sa tkte et ses idjes, mais encore son teint. Cependant, avant de se coucher, une idje meilleure lui vint. Elle avait entendu parler de souper. Djja elle jtait depuis une heure dans cette chambre, on ne pouvait tarder a lui apporter son repas. La prisonniire ne voulut pas perdre de temps, et elle rjsolut de faire, dis cette mkme soirje, quelque tentative pour sonder le terrain, en jtudiant le caractire des gens auxquels sa garde jtait confije. Une lumiire apparut sous la porte ; cette lumiire annonzait le retour de ses gefliers. Milady, qui s'jtait levje, se rejeta vivement sur son fauteuil, la tkte renversje en arriire, ses beaux cheveux djnoujs et jpars, sa gorge demi-nue sous ses dentelles froissjes, une main sur son coeur et l'autre pendante. On ouvrit les verrous, la porte grinza sur ses gonds, des pas retentirent dans la chambre et s'approchirent. " Posez la cette table " , dit une voix que la prisonniire reconnut pour celle de Felton. L'ordre fut exjcutj. " Vous apporterez des flambeaux et ferez relever la sentinelle " , continua Felton. Ce double ordre que donna aux mkmes individus le jeune lieutenant prouva a Milady que ses serviteurs jtaient les mkmes hommes que ses gardiens, c'est-a-dire des soldats. Les ordres de Felton jtaient, au reste, exjcutjs avec une silencieuse rapiditj qui donnait une bonne idje de l'jtat florissant dans lequel il maintenait la discipline. Enfin, Felton, qui n'avait pas encore regardj Milady, se retourna vers elle. " Ah ! ah ! dit-il, elle dort, c'est bien : a son rjveil elle soupera. " Et il fit quelques pas pour sortir. " Mais, mon lieutenant, dit un soldat moins stopque que son chef, et qui s'jtait approchj de Milady, cette femme ne dort pas. -- Comment, elle ne dort pas ? dit Felton, que fait-elle donc, alors ? -- Elle est jvanouie ; son visage est tris pvle, et j'ai beau jcouter, je n'entends pas sa respiration. -- Vous avez raison, dit Felton apris avoir regardj Milady de la place oshch il se trouvait, sans faire un pas vers elle, allez prjvenir Lord de Winter que sa prisonniire est jvanouie, car je ne sais que faire, le cas n'ayant pas jtj prjvu. " Le soldat sortit pour objir aux ordres de son officier ; Felton s'assit sur un fauteuil qui se trouvait par hasard pris de la porte et attendit sans dire une parole, sans faire un geste. Milady possjdait ce grand art, tant jtudij par les femmes, de voir a travers ses longs cils sans avoir l'air d'ouvrir les paupiires : elle aperzut Felton qui lui tournait le dos, elle continua de le regarder pendant dix minutes a peu pris, et pendant ces dix minutes, l'impassible gardien ne se retourna pas une seule fois. Elle songea alors que Lord de Winter allait venir et rendre, par sa prjsence, une nouvelle force a son geflier : sa premiire jpreuve jtait perdue, elle en prit son parti en femme qui compte sur ses ressources ; en consjquence elle leva la tkte, ouvrit les yeux et soupira faiblement. A ce soupir, Felton se retourna enfin. " Ah ! vous voici rjveillje, Madame ! dit-il, je n'ai donc plus affaire ici ! Si vous avez besoin de quelque chose, vous appellerez. -- Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que j'ai souffert ! " murmura Milady avec cette voix harmonieuse qui, pareille a celle des enchanteresses antiques, charmait tous ceux qu'elle voulait perdre. Et elle prit en se redressant sur son fauteuil une position plus gracieuse et plus abandonnje encore que celle qu'elle avait lorsqu'elle jtait couchje. Felton se leva. " Vous serez servie ainsi trois fois par jour, madame, dit-il : le matin a neuf heures, dans la journje a une heure, et le soir a huit heures. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez indiquer vos heures au lieu de celles que je vous propose, et, sur ce point, on se conformera a vos djsirs. -- Mais vais-je donc rester toujours seule dans cette grande et triste chambre ? demanda Milady. -- Une femme des environs a jtj prjvenue, elle sera demain au chvteau, et viendra toutes les fois que vous djsirerez sa prjsence. -- Je vous rends grvce, Monsieur " , rjpondit humblement la prisonniire. Felton fit un ljger salut et se dirigea vers la porte. Au moment oshch il allait en franchir le seuil, Lord de Winter parut dans le corridor, suivi du soldat qui jtait allj lui porter la nouvelle de l'jvanouissement de Milady. Il tenait a la main un flacon de sels. " Eh bien ! qu'est-ce ? et que se passe-t-il donc ici ? dit-il d'une voix railleuse en voyant sa prisonniire debout et Felton prkt a sortir. Cette morte est-elle donc djja ressuscitje ? Pardieu, Felton, mon enfant, tu n'as donc pas vu qu'on te prenait pour un novice et qu'on te jouait le premier acte d'une comjdie dont nous aurons sans doute le plaisir de suivre tous les djveloppements ? -- Je l'ai bien pensj, Milord, dit Felton ; mais, enfin, comme la prisonniire est femme, apris tout, j'ai voulu avoir les jgards que tout homme bien nj doit a une femme, sinon pour elle, du moins pour lui- mkme. " Milady frissonna par tout son corps. Ces paroles de Felton passaient comme une glace par toutes ses veines. " Ainsi, reprit de Winter en riant, ces beaux cheveux savamment jtaljs, cette peau blanche et ce langoureux regard ne t'ont pas encore sjduit, coeur de pierre ? -- Non, Milord, rjpondit l'impassible jeune homme, et croyez-moi bien, il faut plus que des maniges et des coquetteries de femme pour me corrompre. -- En ce cas, mon brave lieutenant, laissons Milady chercher autre chose et allons souper ; ah ! sois tranquille, elle a l'imagination fjconde et le second acte de la comjdie ne tardera pas a suivre le premier. " Et a ces mots Lord de Winter passa son bras sous celui de Felton et l'emmena en riant. " Oh ! je trouverai bien ce qu'il te faut, murmura Milady entre ses dents ; sois tranquille, pauvre moine manquj, pauvre soldat converti qui t'es taillj ton uniforme dans un froc. " " A propos, reprit de Winter en s'arrktant sur le seuil de la porte, il ne faut pas, Milady, que cet jchec vous fte l'appjtit. Tvtez de ce poulet et de ces poissons que je n'ai pas fait empoisonner, sur l'honneur. Je m'accommode assez de mon cuisinier, et comme il ne doit pas hjriter de moi, j'ai en lui pleine et entiire confiance. Faites comme moi. Adieu, chire soeur ! a votre prochain jvanouissement. " C'jtait tout ce que pouvait supporter Milady : ses mains se crispirent sur son fauteuil, ses dents grincirent sourdement, ses yeux suivirent le mouvement de la porte qui se fermait derriire Lord de Winter et Felton ; et, lorsqu'elle se vit seule, une nouvelle crise de djsespoir la prit ; elle jeta les yeux sur la table, vit briller un couteau, s'jlanza et le saisit ; mais son djsappointement fut cruel : la lame en jtait ronde et d'argent flexible. Un jclat de rire retentit derriire la porte mal fermje, et la porte se rouvrit. " Ah ! ah ! s'jcria Lord de Winter ; ah ! ah ! vois-tu bien, mon brave Felton, vois-tu ce que je t'avais dit : ce couteau, c'jtait pour toi ; mon enfant, elle t'aurait tuj ; vois-tu, c'est un de ses travers, de se djbarrasser ainsi, d'une fazon ou de l'autre, des gens qui la gknent. Si je t'eusse jcoutj, le couteau eyt jtj pointu et d'acier : alors plus de Felton, elle t'aurait jgorgj et, apris toi, tout le monde. Vois donc, John, comme elle sait bien tenir son couteau. " En effet, Milady tenait encore l'arme offensive dans sa main crispje, mais ces derniers mots, cette suprkme insulte, djtendirent ses mains, ses forces et jusqu'a sa volontj. Le couteau tomba par terre. " Vous avez raison, Milord, dit Felton avec un accent de profond djgoyt qui retentit jusqu'au fond du coeur de Milady, vous avez raison et c'est moi qui avais tort. " Et tous deux sortirent de nouveau. Mais cette fois, Milady prkta une oreille plus attentive que la premiire fois, et elle entendit leurs pas s'jloigner et s'jteindre dans le fond du corridor. " Je suis perdue, murmura-t-elle, me voila au pouvoir de gens sur lesquels je n'aurai pas plus de prise que sur des statues de bronze ou de granit ; ils me savent par coeur et sont cuirassjs contre toutes mes armes. " Il est cependant impossible que cela finisse comme ils l'ont djcidj. " En effet, comme l'indiquait cette derniire rjflexion, ce retour instinctif a l'espjrance, dans cette vme profonde la crainte et les sentiments faibles ne surnageaient pas longtemps. Milady se mit a table, mangea de plusieurs mets, but un peu de vin d'Espagne, et sentit revenir toute sa rjsolution. Avant de se coucher elle avait djja commentj, analysj, retournj sur toutes leurs faces, examinj sous tous les points, les paroles, les pas, les gestes, les signes et jusqu'au silence de ses gefliers, et de cette jtude profonde, habile et savante, il jtait rjsultj que Felton jtait, a tout prendre, le plus vulnjrable de ses deux persjcuteurs. Un mot surtout revenait a l'esprit de la prisonniire : " Si je t'eusse jcoutj " , avait dit Lord de Winter a Felton. Donc Felton avait parlj en sa faveur, puisque Lord de Winter n'avait pas voulu jcouter Felton. " Faible ou forte, rjpjtait Milady, cet homme a donc une lueur de pitij dans son vme ; de cette lueur je ferai un incendie qui le djvorera. " Quant a l'autre, il me connaot, il me craint et sait ce qu'il a a attendre de moi si jamais je m'jchappe de ses mains, il est donc inutile de rien tenter sur lui. Mais Felton, c'est autre chose ; c'est un jeune homme napf, pur et qui semble vertueux ; celui-la, il y a moyen de le perdre. " Et Milady se coucha et s'endormit le sourire sur les livres ; quelqu'un qui l'eyt vue dormant eyt dit une jeune fille rkvant a la couronne de fleurs qu'elle devait mettre sur son front a la prochaine fkte. CHAPITRE LIII. DEUXIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Milady rkvait qu'elle tenait enfin d'Artagnan, qu'elle assistait a son supplice, et c'jtait la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les livres. Elle dormait comme dort un prisonnier bercj par sa premiire espjrance. Le lendemain, lorsqu'on entra dans sa chambre, elle jtait encore au lit. Felton jtait dans le corridor : il amenait la femme dont il avait parlj la veille, et qui venait d'arriver ; cette femme entra et s'approcha du lit de Milady en lui offrant ses services. Milady jtait habituellement pvle ; son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la premiire fois. " J'ai la fiivre, dit-elle ; je n'ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement : serez-vous plus humaine qu'on ne l'a jtj hier avec moi ? Tout ce que je demande, au reste, c'est la permission de rester couchje. -- Voulez-vous qu'on appelle un mjdecin ? " dit la femme. Felton jcoutait ce dialogue sans dire une parole. Milady rjfljchissait que plus on l'entourerait de monde, plus elle aurait de monde a apitoyer, et plus la surveillance de Lord de Winter redoublerait ; d'ailleurs le mjdecin pourrait djclarer que la maladie jtait feinte, et Milady, apris avoir perdu la premiire partie, ne voulait pas perdre la seconde. " Aller chercher un mjdecin, dit-elle, a quoi bon ? ces Messieurs ont djclarj hier que mon mal jtait une comjdie, il en serait sans doute de mkme aujourd'hui ; car depuis hier soir, on a eu le temps de prjvenir le docteur. -- Alors, dit Felton impatientj, dites vous-mkme, Madame, quel traitement vous voulez suivre. -- Eh ! le sais-je, moi ? mon Dieu ! je sens que je souffre, voila tout, que l'on me donne ce que l'on voudra, peu m'importe. -- Allez chercher Lord de Winter, dit Felton fatiguj de ces plaintes jternelles. -- Oh ! non, non ! s'jcria Milady, non, Monsieur, ne l'appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n'ai besoin de rien, ne l'appelez pas. " Elle mit une vjhjmence si prodigieuse, une jloquence si entraonante dans cette exclamation, que Felton, entraonj, fit quelques pas dans la chambre. " Il est jmu " , pensa Milady. " Cependant, Madame, dit Felton, si vous souffrez rjellement , on enverra chercher un mjdecin, et si vous nous trompez, Eh bien, ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre cftj, nous n'aurons rien a nous reprocher. " Milady ne rjpondit point ; mais renversant sa belle tkte sur son oreiller, elle fondit en larmes et jclata en sanglots. Felton la regarda un instant avec son impassibilitj ordinaire ; puis voyant que la crise menazait de se prolonger, il sortit ; la femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas. " Je crois que je commence a voir clair " , murmura Milady avec une joie sauvage, en s'ensevelissant sous les draps pour cacher a tous ceux qui pourraient l'jpier cet jlan de satisfaction intjrieure. Deux heures s'jcoulirent. " Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle : levons-nous et obtenons quelque succis dis aujourd'hui ; je n'ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d'jcouljs. " En entrant, le matin, dans la chambre de Milady, on lui avait apportj son djjeuner ; or elle avait pensj qu'on ne tarderait pas a venir enlever la table, et qu'en ce moment elle reverrait Felton. Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire attention si Milady avait ou non touchj au repas, fit un signe pour qu'on emportvt hors de la chambre la table, que l'on apportait ordinairement toute servie. Felton resta le dernier, il tenait un livre a la main. Milady, couchje dans un fauteuil pris de la cheminje, belle, pvle et rjsignje, ressemblait a une vierge sainte attendant le martyre. Felton s'approcha d'elle et dit : " Lord de Winter, qui est catholique comme vo