comprends rien... (Elle appuya sur le nez de Perets, comme sur un bouton de sonnette.) Domarochinier a deux blocs-notes. Dans l'un il inscrit qui a dit quoi - pour le Directeur - et dans l'autre ce qu'a dit le Directeur. Penses-y, Poussin, et ne l'oublie pas. - Attends, dit Perets, il faut que je te demande conseil. Cette directive... ce dJlire... je ne vais pas le signer. - Comment Za, tu ne vas pas? - Comme Za. Je ne lIverai pas la main pour signer cette chose. Le visage d'Alevtina se fit sJvIre. - Poussin, dit-elle. Ne te bute pas. Signe. C'est trIs urgent. AprIs, je t'expliquerai tout, mais maintenant... - Mais qu'est-ce qu'il y a A expliquer lA-dedans? dit Perets. - Si tu ne comprends pas, c'est qu'il faut t'expliquer. Donc, aprIs, je t'expliquerai. - Non, explique-moi maintenant, dit Perets. Si tu peux. Ce dont je doute. Alevtina l'embrassa sur la tempe et regarda sa montre d'un air prJoccupJ. - Voyons, mon petit... Bon, d'accord, allons-y si tu veux. Elle s'assit sur la table, les mains A plat sous ses cuisses, et commenZa, les yeux fixJs dans le vague au-dessus de la tKte de Perets : - Il y a un travail administratif sur lequel tout repose. Ce travail ne date pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est un vecteur dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Actuellement, il est matJrialisJ par les ordres et directives existant. Mais il s'enfonce aussi trIs loin dans le futur, oSHCH il attend encore d'Ktre matJrialisJ. C'est comme une route qui se construit sur un terrain dJterminJ. LA oSHCH se termine l'asphalte, tournant le- dos A la portion dJjA faite, se trouve un niveleur qui regarde dans son thJodolite. Ce niveleur, c'est toi. La ligne imaginaire qui passe par l'axe optique du thJodolite, c'est le vecteur administratif non encore matJrialisJ que tu es le seul A voir et qu'il t'appartient de matJrialiser. Tu comprends " - Non, dit fermement Perets. - za ne fait rien, Jcoute encore... De mKme que la route ne peut pas tourner arbitrairement A droite ou A gauche, mais doit suivre l'axe optique du thJodolite, de mKme chaque directive administrative doit Ktre le prolongement logique de toutes celles qui ont prJcJdJ... Poussin, ne cherche pas A approfondir, je ne le comprends pas moi-mKme, mais c'est un bien, car l'approfondissement engendre le doute, le doute engendre le piJtinement sur place - c'est la mort de tout activitJ administrative, et par consJquent la tienne, la mienne... C'est JlJmentaire. Qu'il ne se passe pas un jour sans directive, et tout sera dans l'ordre. Cette directive sur l'instauration de l'ordre, elle n'est pas suspendue en l'air, elle est liJe A la directive prJcJdente sur la non-dJcroissance, laquelle est liJe A la note de service sur la non-grossesse, et cette note de service dJcoule logiquement de la prescription sur l'excitabilitJ excessive, et cette prescription... - ArrKte ces stupiditJs! dit Perets. Montre-moi ces prescriptions et ces notes de service... Non, montre-moi plutFt la premiIre note de service, celle qui remonte A la nuit des temps... - Mais pour quoi faire? - Comment, pour quoi faire? Tu dis qu'elles se suivent logiquement. Je ne te crois pas. - Mon petit, dit Alevtina. Tu verras tout Za. Je te montrerai tout Za. Tu pourras lire tout Za avec tes petits yeux myopes. Mais comprends : il n'y a pas eu de directive avant-hier, il n'y a pas eu de directive hier. On ne peut pas prendre en compte cette petite notule sur la machine qu'il fallait attraper, et en plus c'Jtait une prescription orale... Combien de temps crois-tu que l'Administration puisse rester sans directives? Depuis ce matin, c'est dJjA le fouillis : il y a des gens qui vont changer partout les lampes grillJes, tu te rends compte? Non, poussin, fais ce que tu veux, mais il faut signer la directive. Je veux ton bien. Tu la signes vite, tu rJunis les chefs de groupes, tu leur dis quelque chose qui les rJchauffe, et aprIs je t'apporterai tout ce que tu voudras. Tu pourras lire, Jtudier, approfondir... quoiqu'il vaudrait mieux, Jvidemment, que tu n'approfondisses pas. Perets se prit le visage entre les mains et hocha la tKte. Alevtina sauta vivement A bas de la table, trempa la plume dans la boOte crVnienne de VJnus et tendit le porte-plume A Perets. - Allons, chJri, Jcris vite... Perets prit la plume et demanda d'une voix plaintive : - Mais je pourrai l'annuler, aprIs? - Bien sYr, poussin, bien sYr, dit Alevtina. Perets sentit qu'elle mentait, et rejeta la plume. - Non, dit-il. Non et non. Je ne signerai pas. Pourquoi est-ce que j'irai signer ce dJlire, alors qu'il y a manifestement des dizaines de directives, d'ordonnances, de notes de service raisonnables et sensJes, qui seraient nJcessaires, rJellement nJcessaires dans cette pJtaudiIre... - Par exemple? releva vivement Alevtina. - Seigneur... Mais n'importe quoi... par exemple... Alevtina s'empara d'un bloc-notes. - Eh bien!... (Le ton de Perets prit soudain un mordant peu habituel.) Par exemple une note de service ordonnant aux employJs du groupe de l'Eradication de s'Jradiquer eux-mKmes dans les plus brefs dJlais. ExJcution! Ils auraient qu'A se jeter du haut de la falaise... ou A se tirer une balle dans la tKte... Aujourd'hui mKme! Responsable, Domarochinier... za, ce serait beaucoup plus utile que... - Un instant, dit Alevtina... Donc, se suicider par arme A feu aujourd'hui avant vingt-quatre heures zJro zJro. Responsable, Domarochinier... Elle referma le bloc-notes et parut se plonger dans ses pensJes. Perets la regardait, JtonnJ. - Mais oui! reprit-elle. C'est juste! C'est mKme plus progressiste que... Comprends, chJri : si une directive ne te plaOt pas, il ne faut pas te forcer. Mais donnes-en une autre. VoilA, c'est fait, je n'ai plus A te faire de reproches... Elle sauta A terre et commenZa A disposer les assiettes devant Perets. - VoilA les crKpes, tu as la confiture lA... Le cafJ est dans le thermos, il est bouillant, fais attention, ne te brYle pas... Mange, je prJpare un projet en vitesse et je te l'apporte dans une demi-heure. - Attends, dit Perets, abasourdi. Attends... - Tu me plais bien, dit tendrement Alevtina. Tu es intelligent, tu as du courage... Mais il faudra Ktre un peu plus gentil avec Domarochinier. - Attends, dit Perets, qu'est-ce que tu fais, tu plaisantes ou quoi?... Alevtina se prJcipita vers la porte, Perets se jeta A sa poursuite, criant "Mais ne sois pas folle!", mais ne put la rattraper. Alevtina disparut et A sa place, tel un spectre, Domarochinier parut jaillir du nJant. PeignJ, astiquJ, il avait retrouvJ sa couleur normale et semblait prKt A tout, comme auparavant. - C'est un coup de gJnie, dit-il en pressant Perets contre la table. C'est tout simplement... Jpoustouflant. Cela entrera pour toujours dans l'Histoire... Perets recula, comme devant une scolopendre gJante, heurta la table et fit se culbuter l'un sur l'autre TannhaYser et VJnus.