l'envie De tailler en drapeaux l'etoffe de sa vie. Plier et replier ses mauvaises fureurs Et ses rancoeurs et ses douleurs et ses erreurs. Ni les frissons soyeux, ni les moires fondantes Mais les pointes en soi des epingles ardentes. Oh! le paquet qu'on pousse ou qu'on jette a l'ecart, Si morne et lourd, sur un rayon, dans un bazar. Deja sentir la bouche acre des moisissures Gluer, et les taches s'etendre en leurs morsures. Pourrir, immensement emmaillote d'ennui; Etre l'ennui qui se replie en de la nuit. Tandis que lentement, dans les laines ourdies, De part en part, mordent les vers des maladies. Eperdument Bien que flasque et geignant et si pauvre! si morne! Si las! redresse-toi, de toi-meme vainqueur; Leve ta volonte qui choit contre la borne, Et sursaute, debout, rosse a terre, mon coeur! Exaspere sinistrement ta tout exsangue Carcasse et pousse au vent, par des chemins rougis De sang, ta course; et flaire et leche avec ta langue Ta plaie, et lutte et butte et tombe - et ressurgis! Tu n'en peux plus et tu n'esperes plus; qu'importe! Puisque ta haine immense encor hennit son deuil, Puisque le sort t'enrage et que tu n'es pas morte Et que ton mal fouette se cabre en ton orgueil. Et que ce soit de la torture, encore I encore! Et belle et rouge et que ce soit le fou desir De se boire de la douleur par chaque pore, Et que ce soit enfin et l'affre et le plaisir, - Oh! ma rosse de nerfs et d'os que je surmene - D'etre pareil, un jour, a ces heros du Nord, Qui traversaient la nuit sur leurs chevaux d'ebene Et s'emballaient, en rut du vide et de la mort. Pieusement La nuit d'hiver eleve au ciel son pur calice. Et je leve mon coeur aussi, mon coeur nocturne, Seigneur, mon coeur! mon coeur! vers ton infini vide, Et neanmoins je sais que tout est taciturne Et qu'il n'existe rien dont ce coeur meurt, avide; Et je te sais mensonge et mes levres te prient Et mes genoux; je sais que tes deux mains sont closes Et tes deux yeux fermes aux desespoirs qui crient Et que c'est moi qui, seul, me reve dans les choses; Sois de pitie, Seigneur, pour ma toute demence, J'ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence!... La nuit d'hiver eleve au ciel son pur calice. Heure d'automne C'est bien mon deuil, le tien, o l'automne derniere! Rales que roule au vent du nord la sapiniere; Feuillaison d'or a terre et feuillaison de sang, Sur des mousses d'oree ou des herbes d'etang; Pleurs des arbres, mes pleurs, mes pauvres pleurs de sang. C'est bien mon deuil, le tien, o l'automne derniere! Noire averse cinglant les bois de ses lanieres, Buissons battus, mordus, haches, buissons creves, Au double bord des longs chemins, sur les paves; Bras des buissons, mes bras, mes pauvres bras leves, C'est bien mon deuil, le tien, o l'automne derniere! Quelque chose la-bas, broye dans une orniere, Quelque chose qui geint sur des cailloux fendus Et qui se plaint, ainsi que les arbres tordus, Cris des lointains, mes cris, mes pauvres cris perdus. Fleur fatale L'absurdite grandit comme une fleur fatale Dans le terreau des sens, des coeurs et des cerveaux; En vain tonnent, la-bas, les prodiges nouveaux; Nous, nous restons croupir dans la raison natale. Je veux marcher vers la folie et ses soleils, Ses blancs soleils de lune au grand midi, bizarres, Et ses echos lointains, mordus de tintamarres Et d'aboiements et pleins de chiens vermeils. Iles en fleurs, sur un lac de neige; nuage Ou nichent des oiseaux sous les plumes du vent; Grottes de soir, avec un crapaud d'or devant, Et qui ne bouge et mange un coin du paysage. Becs de herons, enormement ouverts pour rien, Mouche, dans un rayon, qui s'agite, immobile: L'inconscience douce et le tic-tac debile De la tranquille mort des fous, je l'entends bien! La Tete Sur un large echafaud tu porteras la tete; Et brilleront et les armes et les couteaux Et le temps sera clair et ce sera la fete, La fete et la splendeur du sang et des metaux. Et les pourpres soleils et les soirs sulfuriques, Les soirs et les soleils, escarboucles de feux, Verront le chatiment de tes crimes lyriques Et s'ils savent mourir ton front et tes grands yeux. La foule, en qui le mal grandiose serpente, Taira son ocean autour de ton orgueil, La foule! - et te sera comme une mere ardente, Qui, rouge et froid, te bercera dans ton cercueil. Et vicieuse, ainsi qu'une floraison noire, Ou murissent de beaux poisons, couleur d'eclair, Et despotique et fiere et grande, ta memoire, Et fixe et roide, ainsi qu'un poignard dans la chair. Sur un large echafaud tu porteras la tete; Et brilleront et les armes et les couteaux Et le temps sera clair et ce sera la fete, La fete et la splendeur du sang et des metaux. Les Flambeaux noirs Les Lois Un paysage noir, peuple d'architectures Qui decoupent et captivent l'eternite En leurs paralleles et fatales structures, Impose a mes yeux clos son immobilite. Dedales de Justice et tours de Sapience, Toute l'humanite qui s'est dardee en lois Se definit en ces rectilignes effrois De souverain granit et de lourde science. L'orgueil des blocs de bronze et des plaques d'airain, Brutal et solennel, de haut en bas, decide: Ce qu'il faut de bonheur et de calme serein A tout cerveau que regle un coeur sage et placide. Indestructible et clair, perpetuel et froid, Plus haut que tout sommet arquant sa vastitude, Le dome immensement leve la certitude Sur des piliers geants et forts, comme le droit. Mais c'est au fond d'un soir, pesant de cataclysme, Ou des nuages noirs ecrasent des soleils, Que ces pierres et ces beffrois du dogmatisme, Sous le ciel d'encre et d'or, semblent tenir conseil. Sans voir si l'oeil de leur Dieu vague, ouvert la nuit, Et vers lequel s'en va l'elan du monument, Ne s'est point referme lui-meme au firmament, Par usure peut-etre - ou peut-etre d'ennui. La Revolte Vers une ville au loin d'emeute et de tocsin, Ou luit le couteau nu des guillotines, En tout-a-coup de fou desir, s'en va mon coeur. Les sourds tambours de tant de jours De rage tue et de tempete, Battent la charge dans les tetes, Le vieux cadran d'un beffroi noir Darde son disque au fond du soir, Contre un ciel d'etoiles rouges. Des pas, des glas, sont entendus Et de grands feux de toits tordus Echevelent les capitales. Ceux qui ne peuvent plus avoir D'espoir que dans leur desespoir Sont descendus de leur silence. Dites, quoi donc s'entend venir Sur les chemins de l'avenir. De si tranquillement terrible? La haine du monde est dans l'air Et des poings pour saisir l'eclair Se sont tendus jusqu'aux nuees. C'est l'heure ou les hallucines, Les gueux et les deracines Dressent leur orgueil dans la vie. C'est l'heure - et c'est la-bas que sonne le tocsin; Des crosses de fusils battent ma porte; Tuer, etre tue! - qu'importe! C'est l'heure. Les Villes Odeurs de poix, de peaux, d'huiles et de bitumes! Telle qu'un souvenir lourd de reves, debout Dans la fumee enorme et jaune, dans les brumes Et dans le soir, la ville inextricable bout Et tord, ainsi que des reptiles noirs, ses rues Noires, autour des ponts, des docks et des hangars, Ou des feux de petrole et des torches bourrues, Comme des gestes fous au long de murs blafards - Batailles d'ombre et d'or - bougent dans les tenebres. Un colossal bruit d'eau roule, les nuits, les jours, Roule les lents retours et les departs funebres De la mer vers la mer et des voiles toujours Vers les voiles, tandis que d'immenses usines Indomptables, avec marteaux cassant du fer, Avec cycles d'acier virant leurs gelasines, Tordent au bord des quais - tels des membres de chair Ecarteles sur des crochets et sur des roues - Leurs lanieres de peine et leurs volants d'ennui. Au loin, de longs tunnels fumeux, au loin, des boues Et des gueules d'egout engloutissant la nuit; Quand stride un cri qui vient, passe, fuit et s'eraille: Les trains, voici les trains qui vont broyant les ponts, Les trains qui vont battant le rail et la ferraille, Qui vont et vont manges par les sous-sols profonds Et revomis, la-bas, vers les gares lointaines, Les trains soudains, les trains tumultueux - partis. Sacs de froment, tonneaux de vin, ballots de laine! Bois des iles tassant vos larges abatis, Peaux de fauves, avec vos grandes griffes mortes, Et cornes et sabots de buffle et dents d'aurochs Et reptiles, rayes d'eclairs, pendus aux portes. Î cet orgueil des vieux deserts, vendu par blocs, Par tas; vendu! ce roux orgueil vaincu de betes Solitaires: oursons d'ebene et tigres d'or, Poissons des lacs, vautours des monts, lions des cretes, Hurleurs du Sahara, hurleurs du Labrador, Rois de la force errante a travers l'etendue, Helas! voici pour vous, voici les paves noirs, Les camions grincant sous leurs baches tendues Et les ballots et les barils; voici les soirs Du Nord, les mornes soirs, obscurs de leur lumiere, Ou pourrissent les chairs mortes du vieux soleil. Voici Londres cuvant, en des brouillards de biere, Enormement son reve d'or et son sommeil Suragite de fievre et de cauchemars rouges; Voici le vieux Londres et son fleuve grandir Comme un songe dans un songe, voici ses bouges Et ses chantiers et ses comptoirs s'approfondir En dedales et se creuser en taupinees, Et par-dessus, dans l'air de zinc et de nickel, Fleches, dards, coupoles, beffrois et cheminees, - Tourments de pierre et d'ombre - eclates vers le ciel. Soifs de lucre, combat du troc, ardeur de bourse! Î mon ame, ces mains en priere vers l'or, Ces mains monstrueuses vers l'or - et puis la course Des millions de pas vers le lointain Thabor De l'or, la-bas, en quelque immensite de reve, Immensement debout, immensement en bloc? Des voix, des cris, des angoisses, - le jour s'acheve, La nuit revient - des voix, des cris, le heurt, le choc Des renaissants labeurs, des nouvelles batailles En tels bureaux menant, de leurs plumes de fer, A la lueur du gaz qui chauffe les murailles, La lutte de demain contre la lutte d'hier, L'or contre l'or et la banque contre la banque... S'aneantir mon ame en ce feroce effort De tous; s'y perdre et s'y broyer! Voici la tranque, La charrue et le fer qui labourent de l'or En des sillons de fievre. Î mon ame eclatee Et furieuse! o mon ame folle de vent Hagard, mon ame enormement desorbitee, Salis-toi donc et meurs de ton mepris fervent! Voici la ville en or des rouges alchimies, Ou te fondre l'esprit en un creuset nouveau Et t'affoler d'un orage d'antinomies Si fort qu'il foudroiera ton coeur et ton cerveau! Le Roc Sur ce roc carie que ronge et bat la mer, Quels pas voudront me suivre encor, dites, quels pas? C'est la que j'ai bati mon ame. - Dites, serai-je seul dedans mon ame? Mon ame, helas! maison d'ebene, Ou s'est fendu, sans bruit, un soir, Le grand miroir de mon espoir. Dites, serai-je seul avec mon ame, En ce nocturne et angoissant domaine? Serai-je seul avec mon orgueil noir, Assis en un fauteuil de haine? Serai-je seul, avec ma pale hyperdulie Pour Notre-Dame la Folie? Serai-je seul avec, la mer En ce nocturne et angoissant domaine? Des crapauds noirs, velus de mousse, Y devorent du clair soleil, sur la pelouse. Un grand pilier ne soutenant plus rien, Comme un homme, s'erige en une allee D'epitaphes de marbre immensement dallee. Sur ce roc carie que fait gemir la mer, Dites, serai-je seul dedans mon ame? Aurai-je enfin l'atroce joie De voir, nerfs par nerfs, comme une proie, La demence attaquer mon cerveau, Et, malade tetu, sorti de la prison Et des travaux forces de sa raison, D'appareiller vers un espoir nouveau? Dites! ne plus sentir sa vie escaladee Par les talons de fer de chaque idee; Ne plus l'entendre infiniment en soi Ce cri toujours identique, ou crainte, ou rage, Vers le grand inconnu qui dans les cieux voyage. Sur ce roc carie que devaste la mer, Vieillir, triste reveur de l'escarpe domaine; N'entendre plus se taire, en sa maison d'ebene, Qu'un silence total dont auraient peur les morts; Trainer de longs pas lourds en de sourds corridors; Voir se suivre toujours les memes heures, Sans esperer en des heures meilleures; Pour a jamais clore telle fenetre; Tel signe au loin! - un presage vient d'apparaitre; Autour des vieux salons, aimer les sieges vides Et les chambres dont les grands lits ont vu mourir, Et, chaque soir, sentir, les doigts livides, La deraison sous ses tempes, murir. Sur ce roc carie que ruine la mer, Dites, serai-je seul enfin avec la mer, Dites, serai-je seul enfin dedans mon ame? Et puis, un jour, mourir; redevenir rien. Etre quelqu'un qui plus ne se souvient Et qui s'en va sans glas qui sonne, Sans cierge en main ni sans personne, Sans que sache celui qui passe, Joyeux et clair dans la bonace, Que l'angoissant domaine, Qui fut mon ame et fut ma peine N'est plus sur ces rochers, la-haut, Qu'un sombre et gemissant tombeau. Les Nombres Je suis l'hallucine de la foret des Nombres, Le front fendu, d'avoir bute, Obstinement, contre leur fixite. Arbres roides dans le sol clair Et ramures en sillages d'eclair Et futs comme un faisceau de lances Et rocs symetriques dans l'air, Blocs de peur et de silence. La-haut, le million epars des diamants Et les regards, aux firmaments, Myriadaires des etoiles; Et des voiles apres des voiles, Autour de l'Isis d'or qui reve aux firmaments. Je suis l'hallucine de la foret des Nombres. Ils me fixent, avec les yeux de leurs problemes; Ils sont, pour eternellement rester: les memes. Primordiaux et definis, Ils tiennent le monde entre leurs infinis; Ils expliquent le fond et l'essence des choses, Puisqu'a travers les temps planent leurs causes. Je suis l'hallucine de la foret des Nombres. Mes yeux ouverts?- dites leurs prodiges! Mes yeux fermes?- dites leurs vertiges! Voici leur marche rotatoire Cercle apres cercle, en ma memoire, Je suis l'immensement perdu, Le front vrille, le coeur tordu, Les bras battants, les yeux hagards, Dans les hasards des cauchemars. Je suis l'hallucine de la foret des Nombres. Textes de quelles lois infiniment lointaines? Restes de quels geometriques univers? Havres, d'ou sont partis, par des routes certaines, Ceux qui pourtant se sont perdus de mer en mer? Regards abstraits, lobes vides et sans paupieres, Clous dans du fer, lames en pointe entre des pierres? Je suis l'hallucine de la foret des Nombres! Mon cerveau triste, au bord des livres, S'est epuise, de tout son sang, Dans leur trou d'ombre eblouissant; Devant mes yeux, les textes ivres S'entremelent, serpents tordus; Mes poings sont las d'etre tendus, Par au travers de mes nuits sombres, Avec, au bout, le poids des nombres, Avec, toujours, la lassitude De leurs barres de certitude. Je suis l'hallucine de la foret des Nombres. Dites! jusques a quand, la-haut, Le million epars des diamants Et les regards, aux firmaments Myriadaires, des etoiles, Et ces voiles apres ces voiles, Autour de l'Isis d'or qui reve aux firmaments? La Morte En sa robe, couleur de fiel et de poison, Le cadavre de ma raison Traine sur la Tamise. Des ponts de bronze, ou les wagons Entrechoquent d'interminables bruits de gonds Et des voiles de bateaux sombres Laissent sur elle, choir leurs ombres. Elle est morte de trop savoir, De trop vouloir sculpter la cause, Dans le socle de granit noir De chaque etre et de chaque chose. Elle est morte, atrocement, D'un savant empoisonnement, Elle est morte aussi d'un delire Vers un absurde et rouge empire. Ses nerfs ont eclate, Tel soir de fete, Qu'elle sentait deja le triomphe flotter Comme des aigles, sur sa tete. Elle est morte n'en pouvant plus, Les voeux et les vouloirs vaincus, Et c'est elle qui s'est tuee, Infiniment extenuee. Au long des funebres murailles, Au long des usines de fer Ou des marteaux tannent l'eclair, Elle se traine aux funerailles. Ce sont des quais et des casernes, Et des poteaux et des lanternes, Immobiles et lentes filandieres Des ors obscurs de leurs lumieres. Ce sont de grands chantiers d'affolement, Pleins de barques demantelees Et de vergues ecartelees Sur un ciel de crucifiement. En sa robe de joyaux morts, que solennise L'heure de pourpre a l'horizon, Le cadavre de ma raison Traine sur la Tamise. Elle s'en va vers les hasards Au fond de l'ombre et des brouillards, Au long bruit sourd des tocsins lourds, Clamant le deuil, du haut des tours. Derriere elle, laissant inassouvie La ville immense de la vie; Elle s'en va vers l'inconnu noir Dormir en des tombeaux de soir, La-bas, ou les vagues lentes et fortes Creusant l'abime sans clarte, Engloutissent a toute eternite, Les mortes. Les Apparus dans mes chemins Celui de l'horizon J'ai regarde, par la lucarne ouverte, au flanc D'un phare abandonne que flagellait la pluie: Des trains tumultueux, sous des tunnels de suie, Sifflaient, toises de loin, par des fanaux en sang. Le port immensement herisse de grands mats, Dormait, huileux et lourd, en ses bassins d'asphalte Un seul levier, debout sur un bloc de basalte, Serrait en son poing noir un enorme acomas, Et, sous la voute en noir de ce ciel de portor, Une a une, la-bas, s'eloignaient les lanternes Vers des quartiers de bruit, de joie et de tavernes, Ou des femmes dansaient entre des miroirs d'or. Quand plaie enorme et rouge, une voile, soudain, Tumefiee au vent, cingla vers les debarcaderes, Quelqu'un qui s'en venait des pays legendaires, Parut, le front compact d'orgueil et de dedain. Comme des glaives d'or et des lances au clair, Il degainait sa rage et ses desirs sauvages Et ses cris durs frappaient les echos des rivages Ou traversaient, de part et part, l'ombre et la mer. Il etait d'Ocean. II etait grand d'avoir Mordu chaque horizon saccage de tempete Et de maintenir haute et tenace sa tete Sous les poings de terreur que lui tendait le soir. Effrayant effraye. Il cherchait le chemin Vers une autre existence eclatee en miracles, En un desert de rocs illumines d'oracles, Ou le chene vivrait, ou parlerait l'airain, Ou tout l'orgueil serait: se vivre, en deploiements D'effroi sauvage, avec, sur soi, la voix profonde Et tonnante des Dieux, qui ont tordu le monde Plein de terreur, sous le froid d'or des firmaments. Et depuis des mille ans il defiait l'eclair, Dressant sur l'horizon les torses de ses voiles Et guettant les signaux des plus rouges etoiles Dont les cristaux sanglants se cassaient dans la mer. La Peur Par les plaines de ma crainte, tournee au Nord, Voici le vieux berger des Novembres qui corne, Debout, comme un malheur, au seuil du bercail morne, Qui corne au loin l'appel des troupeaux de la mort. L'etable est la, lourde et vieille comme un remords, Au fond de mes pays de tristesse sans borne, Qu'un ruisselet, borde de menthe et de viorne, Lasse de ses flots lents, fletrit, d'un cours retors. Brebis noires, a croix rouges, sur les epaules, Et beliers couleur feu rentrent, a coups de gaule, Comme ses lents peches, en mon ame d'effroi; Le vieux berger des Novembres corne tempete. Dites, quel vol d'eclairs vient d'effleurer ma tete Pour que, ce soir, ma vie ait eu si peur de moi? Celui du rien Je suis celui des pourritures grandioses Qui s'en revient du pays mou des morts; Celui des Ouests noirs du sort Qui te montre, la-bas, comme une apotheose, Son ile immense, ou des guirlandes De detritus et de viandes Se suspendent, Tandis, qu'entre les fleurs somptueuses des soirs, S'ouvrent les grands yeux d'or des crapauds noirs. Terrains tumefies et cavernes nocturnes. Oh! mes grottes baillant l'ennui par les crevasses Des fondrieres et des morasses! A mes arbres de lepre, au bord des mares, Sechent ton coeur et tes manteaux baroques, Vieux Lear; et puis voici le noir Hamlet bizarre Et les corbeaux qui font la cour a son cadavre; Voici Rene, le front fendu, les chairs transies, Et les mains d'Ophelie, au bord des havres, Sont ces deux fleurs blanches - moisies. Et les meurtres me font des plans de pourriture, Jusqu'au palais d'ou s'imposent les dictatures De mon pays de purulence et de sang d'or. Sont la, les carcasses des empereurs nocturnes; Les Nerons fous et les Tiberes taciturnes, Gisant sur des terrasses de portor. Leur crane est chevelu de vers - et leur pensee Oui dechira la Rome antique en incendies Fermente encor, dans leur tete decomposee. Des lemures tettent les pustules du ventre Que fut Vitellius - et maux et maladies Crevent sur ces debris leurs poches de poisons. Je suis celui du pays mou des morts. Et puis voici ceux-la qui s'exaltaient en Dieu; Voici les coeurs brules de foi, ceux dont le feu Etonnait les soleils, de sa lueur nouvelle: Amours sanctifies par l'extatique ardeur "Rien pour soi-meme et sur le monde ou s'echevelent La luxure, l'orgueil, l'avarice, l'horreur, Tous les peches, inaugurer, torrentiel De sacrifice et de bonte supreme, un ciel!" Et les Flamels tombes des legendes gothiques, Et les avares blancs qui se mangent les doigts, Et les guerriers en or immobile, la croix Escarbouclant d'ardeur leurs cuirasses mystiques, Et leurs femmes dont les regards etaient si doux; Voici - sanguinolents et crus - ils sont la, tous. Je suis celui des pourritures mephitiques. Dans un jardin d'ombre et de soir, Je cultive sur un espalier noir, Les promesses et les espoirs. La maladie? elle est, ici, la veneneuse Et triomphale moissonneuse Dont la faucille est un croissant de fievre Taille dans l'Hecate des vieux Sabbats. La fraicheur de l'enfance et la sante des levres, Les cris de joie et l'ingenu fracas Des bonds fouettes de vent, parmi les plaines, Je les fletris, ferocement, sous mes haleines, Et les voici, aux coins de mes quinconces Et tas jaunes, comme feuilles et ronces. Je suis celui des pourritures souveraines. Voici les assoiffes des vins de la beaute; Les affoles de l'unanime volupte Qui fit naitre Venus de la mer tout entiere; Voici leurs flancs, avec les trous de leur misere; Leurs yeux, avec du sang; leurs mains, avec des ors; Leurs livides phallus tordus d'efforts Brises - et, par les mares de la plaine, Les vieux caillots noyes de la semence humaine. Voici celles dont l'affre etait de se chercher Autour de l'effroi roux de leur peche, Pour se meler et se mordre, folles gorgones; Celles qui se lechaient, ainsi que des lionnes - Langues de pierre - et qui fuyaient pour revenir Toujours pales, vers leur implacable desir, Fixe, la-bas, le soir, dans les yeux de la lune. Tous et toutes - regarde - un a un, une a une, Ils sont, en de la cendre et de l'horreur Changes - et leur ruine est la splendeur De mon domaine, au bord des mers phosphorescentes. Je suis celui des pourritures incessantes; Je suis celui des pourritures infinies; Vice ou vertu, vaillance ou peur, blaspheme ou foi, Dans mon pays de fiel et d'or, j'en suis la loi. Et je t'apporte a toi ce multiple flambeau: Reve, folie, ardeur, mensonge et ironie Et mon rire devant l'universel tombeau. Dans ma plaine Je m'habille des loques de mes jours Et le baton de mon orgueil dans ma main ploie; Mes pas! dites comme ils sont lourds De me porter, de me trainer toujours Sans plus d'espoir, de voie en voie. Mon ame est comme un beffroi noir Qui sonne au loin, pres d'un rempart Au fond du soir; Toute ma tete est vaine Et monoeuvre jadis hautaine S'eparpille comme au hasard. Ah si la mort pouvait venir! Plantez des croix, au long des routes, Plantez des croix, sur le rempart, N'importe ou, plantez des croix, puisque toutes Diront le sort d'un espoir mort. Les voici donc mon pays et ma ville, Avec leur fleuve au loin dans le brouillard, Avec leurs toits et leurs clochers epars, Avec leurs lacs, en flaques d'huile, Monotones, dans le soir noir. Ah si la mort pouvait venir! Pourtant, je ne sais quoi illumine soudain Le pauvre baton mort que je tiens en ma main. Et voici qu'un rayon glisse au loin sur la plaine Ou je n'ai disperse que fatigue et que haine; Et le beffroi, la-bas, a beau sonner Et son battant a beau tanner, Je n'entends plus ses glas perclus, Je n'entends plus, je n'entends plus Rien qu'une voix qui vient d'en haut me pardonner. Dites? Dites? Serait-ce elle qui veut venir Vers l'agonie en feu de mes mauvais desirs Non pas la mort, mais elle La trepassee et la sainte que je reve eternelle. Saint Georges Ouverte en large eclair, parmi les brumes, Une avenue; Et Saint Georges, cuirasse d'or, Avec des plumes et des ecumes, Au poitrail blanc de son cheval, sans mors, Descend. L'eguipage diamantaire Fait de sa chute, un triomphal chemin A la pitie du ciel vers notre terre. Prince de l'aube et du matin, Joyeux, vibrant et cristallin, Mon coeur nocturne, oh qu'il l'eclaire, Au tournoiement de son epee aureolaire! Que j'entende le bruit glissant Du vent, autour de sa cotte de mailles Et de son gonfanon dans les batailles; Le Saint Georges, celui qui luit Et vient, parmi les cris de mon desir, Saisir Mes pauvres bras tendus vers sa vaillance! Comme un grand cri de foi Il tient, droite, sa lance, Le Saint Georges; Il fait comme un tumulte d'or Dans le celeste et flamboyant decor; Il porte au front l'eclat du chreme, Le Saint Georges du haut devoir, Beau de son coeur et par lui-meme. Sonnez toutes mes voix d'espoir! Sonnez en moi; sonnez, sous les rameaux, En des chemins pleins de soleil! Micas d'argent, soyez la' joie entre les pierres; Et vous, les blancs cailloux des eaux, Ouvrez vos yeux, dans les ruisseaux, A travers l'eau de vos paupieres; Paysage, avec tes lacs vermeils, Sois le miroir des vols de flamme Du Saint Georges vers mon ame! Contre les dents du dragon noir, Contre l'armature de lepre et de pustules, Il est le glaive et le miracle. La charite, sur sa cuirasse brule Et son courage est la debacle Bondissante de l'instinct noir. Feux cribles d'or, feux rotatoires Et tourbillons d'astres, ses gloires, Aux galopants sabots de son cheval, Eblouissent les yeux de ma memoire. Il vient, en bel ambassadeur Du pays blanc, illumine de marbres, Ou, dans les parcs, au bord des mers, sur l'arbre De la bonte, suavement croit la douceur. Le port, il le connait, ou se bercent, tranquilles, De merveilleux vaisseaux emplis d'anges dormants, Et les grands soirs, ou s'eclairent des iles Belles, mais immobiles, Parmi les yeux, dans l'eau, des firmaments. Ce royaume, d'ou se leve, reine, la Vierge, Il en est l'humble joie ardente - et sa flamberge Y vibre, en ostensoir, dans l'air; Le devorant Saint Georges clair Qui frole et eblouit de son eclair Mon ame. Il sait de quels lointains je viens, Avec quelles brumes, dans le cerveau, Avec quels signes de couteau, En croix noires, sur la pensee, Avec quel manque de biens, Avec quelle puissance depensee, Avec quel masque et quelle folie, Sur de la honte et de la lie. J'ai ete lache et je me suis enfui Dans un jardin de maux et de pleurs infertiles; J'ai souleve quand me cernait la nuit Les marbres d'or d'une science hostile, Vers des sommets barres d'oracles noirs; Seule la mort est la reine des soirs Et tout effort humain n'est clair que dans l'aurore; Avec les fleurs, la priere desire eclore Et leurs douces levres ont le meme parfum; Le blanc soleil, sur l'eau nacree, est pour chacun Comme une main de caresse, sur l'existence; L'aube s'ouvre, comme un conseil de confiance, Et qui l'ecoute est le sauve De son marais, ou nul peche ne fut jamais lave. Le Saint Georges rapide et clair A traverse, par bonds de flamme, Le frais matin, jusqu'a mon ame; Il etait jeune et beau de foi; Il se pencha d'autant plus bas vers moi, Qu'il me voyait plus a genoux; Comme un intime et pur cordial d'or Il m'a rempli de son essor Et tendrement d'un effroi doux; Devant sa vision altiere, J'ai mis, en sa pale main fiere, Les fleurs tristes de ma douleur; Et lui, s'en est alle, m'imposant la vaillance Et sur le front, la marque en croix d'or de sa lance, Droit vers son Dieu, avec mon coeur. L'Autre plaine Vers les visages des floraisons d'or, Voici qu'un auroral soleil se penche Et les frolant, de branche en branche, Sur leurs levres de pourpre eclate en baisers d'or. On ecoute les ruisselets dans la lumiere, Sauter, de marche en marche, au long d'un talus clair; Des insectes d'argent aux antennes de verre, Contre des vitraux bleus, casser de la lumiere. Des feuillages chantent. Il s'en denoue, De temps en temps, de longs rubans de vols, Et les heures tournent, comme des roues, Autour des coeurs moussus des tournesols. Les Campagnes hallucinees La Ville Tous les chemins vont vers la ville. Du fond des brumes, Avec tous ses etages en voyage Jusques au ciel, vers de plus hauts etages, Comme d'un reve, elle s'exhume. La-bas, Ce sont des ponts muscles de fer, Lances, par bonds, a travers l'air; Ce sont des blocs et des colonnes Que decorent Sphinx et Gorgonnes; Ce sont des tours sur des faubourgs; Ce sont des millions de toits Dressant au ciel leurs angles droits: C'est la ville tentaculaire, Debout, Au bout des plaines et des domaines. Des clartes rouges Qui bougent Sur des poteaux et des grands mats. Meme a midi, brulent encor Comme des oeufs de pourpre et d'or; Le haut soleil ne se voit pas: Bouche de lumiere, fermee Par le charbon et la fumee. Un fleuve de naphte et de poix Bat les moles de pierre et les pontons de bois; Les sifflets crus des navires qui passent Hurlent de peur dans le brouillard; Un fanal vert est leur regard Vers l'ocean et les espaces. Des quais sonnent aux chocs de lourds fourg