Malgre les echafauds, malgre les incendies Et les tetes en sang au bout des poings brandies. Elle a mille ans la ville, La ville apre et profonde; Et sans cesse, malgre l'assaut des jours Et des peuples minant son orgueil lourd, Elle resiste a l'usure du monde. Quel ocean, ses coeurs! quel orage, ses nerfs! Quels noeuds de volontes serres en son mystere! Victorieuse, elle absorbe la terre, Vaincue, elle est l'attrait de l'univers; Toujours, en son triomphe ou ses defaites, Elle apparait geante, et son cri sonne et son nom luit, Et la clarte que font ses feux d'or dans la nuit Rayonne au loin, jusqu'aux planetes! Î les siecles et les siecles sur elle! Son ame, en ces matins hagards, Circule en chaque atome De vapeur lourde et de voiles epars, Son ame enorme et vague, ainsi que ses grands domes Qui s'estompent dans le brouillard. Son ame errante en chacune des ombres Qui traversent ses quartiers sombres, Avec une ardeur neuve au bout de leur pensee, Son ame formidable et convulsee, Son ame, ou le passe ebauche Avec le present net l'avenir encor gauche. Î ce monde de fievre et d'inlassable essor Rue, a poumons lourds et haletants, Vers on ne sait quels buts inquietants? Monde promis pourtant a des lois d'or, A des lois claires, qu'il ignore encor Mais qu'il faut, un jour, qu'on exhume, Une a une, du fond des brumes. Monde aujourd'hui tetu, tragique et bleme Qui met sa vie et son ame dans l'effort meme Qu'il projette, le jour, la nuit, A chaque heure, vers l'infini. Î les siecles et les siecles sur cette ville! Le reve ancien est mort et le nouveau se forge. Il est fumant dans la pensee et la sueur Des bras fiers de travail, des fronts fiers de lueurs, Et la ville l'entend monter du fond des gorges De ceux qui le portent en eux Et le veulent crier et sangloter aux cieux. Et de partout on vient vers elle, Les uns des bourgs et les autres des champs, Depuis toujours, du fond des loins; Et les routes eternelles sont les temoins De ces marches, a travers temps, Qui se rythment comme le sang Et s'avivent, continuelles. Le reve! il est plus haut que les fumees Qu'elle renvoie envenimees Autour d'elle, vers l'horizon; Meme dans la peur ou dans l'ennui, Il est la-bas, qui domine, les nuits, Pareil a ces buissons D'etoiles d'or et de couronnes noires, Qui s'allument, le soir, evocatoires. Et qu'importent les maux et les heures dementes, Et les cuves de vice ou la cite fermente, Si quelque jour, du fond des brouillards et des voiles, Surgit un nouveau Christ, en lumiere sculpte, Qui souleve vers lui l'humanite Et la baptise au feu de nouvelles etoiles. Le Port Toute la mer va vers la ville! Son port est surmonte d'un million de croix: Vergues transversales barrant de grands mats droits. Son port est pluvieux de suie a travers brumes, Ou le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie. Son port est ameute de steamers noirs qui fument Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie. Son port est fourmillant et musculeux de bras Perdus en un fouillis dedalien d'amarres. Son port est tourmente de chocs et de fracas Et de marteaux tonnant dans l'air leurs tintamarres. Toute la mer va vers la ville! Les flots qui voyagent comme les vents, Les flots legers, les flots vivants, Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire Lui rapportent le monde en leurs navires. Les Orients et les Midis tanguent vers elle Et les Nords blancs et la folie universelle Et tous nombres dont le desir prevoit la somme. Et tout ce qui s'invente et tout ce que les hommes Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes: Elle est le brasier d'or des humaines disputes, Elle est le reservoir des richesses uniques Et les marins naifs peignent son caducee Sur leur peau rousse et crevassee, A l'heure ou l'ombre emplit les soirs oceaniques. Toute la mer va vers la ville! Î les Babels enfin realisees! Et cent peuples fondus dans la cite commune; Et les langues se dissolvant en une; Et la ville comme une main, les doigts ouverts, Se refermant sur l'univers! Dites! les docks bondes jusques au faite Et la montagne, et le desert, et les forets, Et leurs siecles captes comme en des rets; Dites! leurs blocs d'eternite: marbres et bois, Que l'on achete, Et que l'on vend au poids; Et puis, dites! les morts, les morts, les morts Qu'il a fallu pour ces conquetes. Toute la mer va vers la ville! La mer pesante, ardente et libre, Qui tient la terre en equilibre; La mer que domine la loi des multitudes, La mer ou les courants tracent les certitudes; La mer et ses vagues coalisees, Comme un desir multiple et fou, Qui renversent des rocs depuis mille ans debout Et retombent et s'effacent, egalisees; La mer dont chaque lame ebauche une tendresse Ou voile une fureur; la mer plane ou sauvage; La mer qui inquiete et angoisse et oppresse De l'ivresse de son image. Toute la mer va vers la ville! Son port est parseme et scintillant de feux Et sillonne de rails fuyants et lumineux. Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnent D'un bruit souterrain d'eau qui s'enfle et ronfle en elles. Son port est lourd d'odeurs de naphte et de carbone Qui s'epandent, au long des quais, par les ruelles. Son port est fabuleux de deesses sculptees A l'avant des vaisseaux dont les mats d'or s'exaltent. Son port est solennel de tempetes domptees En des havres d'airain, de gres et de basalte. Une Statue Un bloc de marbre ou son nom luit sur une plaque. Ventre riche, machoire ardente et menton lourd; Haine et terreur murant son gros front lourd Et poing taille pour fendre en deux toutes attaques. Le carrefour, solennise de palais froids, D'ou ses regards tetus et violents encore Scrutent quels feux d'eveil bougent dans telle aurore, Comme sa volonte, se carre en angles droits. Il fut celui de l'heure et des hasards bizarres, Mais textuel, sitot qu'il tint la force en main Et qu'il put etouffer dans hier le lendemain Deja sonore et plein de terribles fanfares. Sa colere fit loi durant ces jours vantes, Ou toutes voix montaient vers ses panegyriques, Ou son reve d'Etat strict et geometrique Tranquillisait l'aboi plaintif des lachetes. Il se sentait la force etroite et qui deprime, Tantot sournois, tantot cruel et contempteur, Et quand il se dressait de toute sa hauteur Il n'arrivait jamais qu'a la hauteur d'un crime. Plante devant la vie, il l'obstrua, depuis Qu'il s'imposa sauveur des rois et de lui-meme Et qu'il utilisa la peur et l'affre bleme En des complots fictifs qu'il etranglait, la nuit. Si bien qu'il apparait sur la place publique Feroce et rancunier, autoritaire et fort, Et defendant encor, d'un geste hyperbolique, Son piedestal massif comme son coffre-fort. Les Usines Se regardant avec les yeux casses de leurs fenetres Et se mirant dans l'eau de poix et de salpetre D'un canal droit, marquant sa barre a l'infini, Face a face, le long des quais d'ombre et de nuit, Par a travers les faubourgs lourds Et la misere en pleurs de ces faubourgs, Ronflent terriblement usines et fabriques. Rectangles de granit et monuments de briques, Et longs murs noirs durant des lieues, Immensement, par les banlieues; Et sur les toits, dans le brouillard, aiguillonnees De fers et de paratonnerres, Les cheminees. Se regardant de leurs yeux noirs et symetriques, Par la banlieue, a l'infini. Ronflent le jour, la nuit, Les usines et les fabriques. Oh les quartiers rouilles de pluie et leurs grand'rues! Et les femmes et leurs guenilles apparues Et les squares, ou s'ouvre, en des caries De platras blanc et de scories, Une flore pale et pourrie. Aux carrefours, porte ouverte, les bars: Etains, cuivres, miroirs hagards, Dressoirs d'ebene et flacons fols D'ou luit l'alcool Et sa lueur vers les trottoirs. Et des pintes qui tout a coup rayonnent, Sur le comptoir, en pyramides de couronnes; Et des gens souls, debout, Dont les larges langues lappent, sans phrases, Les aies d'or et le whisky, couleur topaze. Par a travers les faubourgs lourds Et la misere en pleurs de ces faubourgs, Et les troubles et mornes voisinages, Et les haines s'entrecroisant de gens a gens Et de menages a menages, Et le vol meme entre indigents, Grondent, au fond des cours, toujours, Les haletants battements sourds Des usines et des fabriques symetriques. Ici, sous de grands toits ou scintille le verre, La vapeur se condence en force prisonniere: Des machoires d'acier mordent et fument; De grands marteaux monumentaux Broient des blocs d'or sur des enclumes, Et, dans un coin, s'illuminent les fontes En brasiers tors et effrenes qu'on dompte. La-bas, les doigts meticuleux des metiers prestes, A bruits menus, a petits gestes, Tissent des draps, avec des fils qui vibrent Legers et fins comme des fibres. Des bandes de cuir transversales Courent de l'un a l'autre bout des salles Et les volants larges et violents Tournent, pareils aux ailes dans le vent Des moulins fous, sous les rafales. Un jour de cour avare et ras Frole, par a travers les carreaux gras Et humides d'un soupirail, Chaque travail. Automatiques et minutieux, Des ouvriers silencieux Reglent le mouvement D'universel tictacquement Qui fermente de fievre et de folie Et dechiquette, avec ses dents d'entetement, La parole humaine abolie. Plus loin, un vacarme tonnant de chocs Monte de l'ombre et s'erige par blocs; Et, tout a coup, cassant l'elan des violences, Des murs de bruit semblent tomber Et se taire, dans une mare de silence, Tandis que les appels exacerbes Des sifflets crus et des signaux Hurlent soudain vers les fanaux, Dressant leurs feux sauvages, En buissons d'or, vers les nuages. Et tout autour, ainsi qu'une ceinture, La-bas, de nocturnes architectures, Voici les docks, les ports, les ponts, les phares Et les gares folles de tintamarres; Et plus lointains encor des toits d'autres usines Et des cuves et des forges et des cuisines Formidables de naphte et de resines Dont les meutes de feu et de lueurs grandies Mordent parfois le ciel, a coups d'abois et d'incendies. Au long du vieux canal a l'infini, Par a travers l'immensite de la misere Des chemins noirs et des routes de pierre, Les nuits, les jours, toujours, Ronflent les continus battements sourds, Dans les faubourgs, Des fabriques et des usines symetriques. L'aube s'essuie A leurs carres de suie; Midi et son soleil hagard Comme un aveugle, errent par leurs brouillards; Seul, quand au bout de la semaine, au soir, La nuit se laisse en ses tenebres choir, L'apre effort s'interrompt, mais demeure en arret, Comme un marteau sur une enclume, Et l'ombre, au loin, parmi les carrefours, parait De la brume d'or qui s'allume. La Bourse Comme un torse de pierre et de metal debout Le monument de l'or dans les tenebres bout. Des que morte est la nuit et que revit le jour, L'immense et rouge carrefour D'ou s'exalte sa quotidienne bataille Tressaille. Des banques s'ouvrent tot et leurs guichets, Ou l'or se pese au trebuchet, Voient affluer - voiles legeres - par flottes, Les traites et les banque-notes. Une fureur monte et s'en degage, Gagne la rue et s'y propage, Venant chauffer, de seuil en seuil, Dans la ville, la peur, la folie ou l'orgueil. Le monument de l'or attend que midi tinte Pour reveiller l'ardeur dont sa vie est etreinte. Tant de reves, tels des feux roux Entremelent leur flamme et leurs remous De haut en bas du palais fou! Le gain coupable et monstrueux S'y resserre comme des noeuds. On croit y voir une apre fievre Voler, de front en front, de levre en levre, Et s'ameuter et eclater Et crepiter sur les paliers Et les marches des escaliers. Une fureur reenflammee Au mirage du moindre espoir Monte soudain de l'entonnoir De bruit et de fumee, Ou l'on se bat, a coups de vols, en bas. Langues seches, regards aigus, gestes inverses, Et cervelles, qu'en tourbillons les millions traversent, Echangent la leur peur et leur terreur. La hate y simule l'audace Et les audaces se depassent; Les uns confient a des carnets Leurs angoisses et leurs secrets; Cyniquement, tel escompte l'eclair Qui tue un peuple au bout du monde; Les chimeres volent dans l'air; Les chances fuient ou surabondent; Marches conclus, marches rompus Luttent et s'entrebutent en disputes; L'air brule - et les chiffres paradoxaux, En paquets pleins, en lourds trousseaux, Sont rejetes et cahotes et ballotes Et s'effarent en ces bagarres, Jusqu'a ce que leurs sommes lasses, Masses contre masses, Se cassent. Aux fins de mois, quand les debacles se deciden La mort les paraphe de suicides Et les chutes s'effritent en ruines Qui s'illuminent En obseques exaltatives. Mais le jour meme, aux heures blemes, Les volontes, dans la fievre, revivent; L'acharnement sournois Reprend, comme autrefois. On se trahit, on se sourit et l'on se mord Et l'on travaille a d'autres morts. La haine ronfle, ainsi qu'une machine, Autour de ceux qu'elle assassine. On vole, avec autorite, les gens Dont les coffres sont indigents. On mele avec l'honneur l'escroquerie, Pour amorcer jusqu'aux patries Et ameuter vers l'or torride et infamant L'universel affolement. Oh l'or, la-bas, comme des tours dans les nuages, L'or etale sur l'etagere des mirages, Avec des millions de bras tendus vers lui, Et des gestes et des appels, la nuit, Et la priere unanime qui gronde, De l'un a l'autre bout des horizons du monde! La-bas, des cubes d'or sur des triangles d'or, Et tout autour les fortunes celebres S'echafaudant sur des algebres. De l'or! - boire et manger de l'or! Et, plus feroce encor que la rage de l'or, La foi au jeu mysterieux Et ses hasards hagards et tenebreux Et ses arbitraires vouloirs certains Qui restaurent le vieux destin; Le jeu, axe terrible, ou tournera autour de l'aventure, Par seul plaisir d'anomalie, Par seul besoin de rut et de folie, La-bas, ou se croisent les lois d'effroi Et les supremes desarrois, Eperdument, la passion future. Comme un torse de pierre et de metal debout, Qui cele en son mystere et son ardeur profonde Le coeur battant et haletant du monde, Le monument de l'or dans les tenebres bout. La Revolte La rue, en un remous de pas, De torses et de dos d'ou sont tendus des bras Sauvagement ramifies vers la folie, Semble passer volante; Et ses fureurs, au meme instant, s'allient A des haines, a des appels, a des espoirs; La rue en or, La rue en rouge, au fond des soirs. Toute la mort En des beffrois tonnants se leve; Toute la mort, surgie en reves, Avec des faulx et des epees Et des tetes atrocement coupees. La toux des canons lourds, Les lourds hoquets des canons sourds Mesurent seuls les pleurs et les abois de l'heure. Les hauts cadrans des horloges publiques, Comme des yeux en des paupieres, Sont defonces a coups de pierre: Le temps normal n'existant plus Pour les coeurs fous et resolus Des multitudes fameliques. La rage, elle a bondi de terre Sur un monceau de paves gris; La rage immense, avec des cris, Avec du feu dans ses arteres; La rage, elle a bondi Feroce et haletante Et si terriblement Que son moment d'elan vaut a lui seul le temps Que met un siecle en gravitant Autour de ses cent ans d'attente. Tout ce qui fut reve jadis; Ce que les fronts les plus hardis Vers l'avenir ont instaure; Ce que les ames ont brandi, Ce que les yeux ont implore, Ce que toute la seve humaine Silencieuse a renferme, S'epanouit, aux mille bras armes De ces foules, brassant leur houle avec leurs haines. C'est la fete du sang qui se deploie, A travers la terreur, en etendards de joie: Des gens passent rouges et ivres; Des gens passent sur des gens morts; Les soldats clairs, casques de cuivre, Ne sachant plus ou sont les droits, ou sont les torts, Las d'obeir, chargent, mollassement, Le peuple enorme et vehement Qui veut enfin que sur sa tete Luisent les ors sanglants et violents de la conquete. Voici des docks et des maisons qui brulent, En facades de sang, sur le fond noir du crepuscule; L'eau des canaux en reflechit les fumantes splendeurs, De haut en bas, jusqu'en ses profondeurs; D'enormes tours obliquement dorees Barrent la ville au loin d'ombres demesurees; Les bras des feux, ouvrant leurs mains funebres, Eparpillent des lambeaux d'or par les tenebres; Et les brasiers des toits sautent en bonds sauvages, Hors d'eux-memes, jusqu'aux nuages. Aux vieux palais publics, d'ou les echevins d'or Jadis domptaient la ville et refoulaient l'effort Et la maree en rut des multitudes fortes, On penetre, cognant et martelant les portes; Les clefs sautent, les gonds cedent et les verrous; Des armoires de fer ouvrent de larges trous Ou s'empilent par tas les lois et les harangues; Une torche soudain les leche avec sa langue, Et tout leur passe noir s'envole et s'eparpille, Tandis que dans la cave et les greniers on pille Et qu'on jette dans les fosses du vieux rempart Des morts coupant le vide avec leurs bras epars. Dans les couvents, les chapelles et les eglises, Les verrieres, ou les martyres sont assises, Jonchent le sol et s'emiettent comme du chaume; Un Christ, exsangue et long comme un fantome, Est lacere et pend, tel un haillon de bois, Au dernier clou qui perce encor l'or de sa croix; Le tabernacle, ardent et pur, ou sont les chremes, Est attaque, a coups de poings et de blasphemes; On soufflette les Saints pres des autels debout Et dans la grande nef, de l'un a l'autre bout, - Telle une neige - on dissemine les hosties Pour qu'elles soient, sous les talons, aneanties. Tous les joyaux du meurtre et des desastres Etincellent ainsi, sous l'oeil des astres; La ville entiere eclate En pays d'or coiffe de flammes ecarlates; La ville, au vent des soirs, vers les lointains houleux Tend sa propre couronne enormement en feu; Toute la rage et toute la folie Brassent la vie avec leur lie, Si fort que, par instants, le sol semble trembler, Et l'espace bruler Et la fumee et ses fureurs s'echeveler et s'envoler Et balayer les grands cieux froids. - Tuer, pour rajeunir et pour creer; Ou pour tomber et pour mourir, qu'importe! Passer; ou se casser les poings contre la porte! Et puis - que son printemps soit vert ou qu'il soit rouge - N'est-elle point, dans le monde, toujours, Haletante, par a travers les jours, La puissance profonde et fatale qui bouge! La Recherche Chambres et pavillons, tours et laboratoires, Avec, sur leurs frises, les sphinx evocatoires Et vers le ciel, braques, les telescopes d'or. C'est la maison de la science au loin dardee, Par a travers les faits jusqu'aux claires idees. Flacons jaunes, bleus, verts, pareils a des tresors; Cristaux monumentaux et mineraux jaspes; Prismes dans le soleil et ses rayons trempes; Creusets ardents, godets rouges, flammes fertiles, Ou se transmuent les poussieres subtiles; Instruments nets et delicats, Ainsi que des insectes, Ressorts tendus et balances correctes, Cones, segments, angles, carres, compas, Sont la, vivant et respirant dans l'atmosphere De lutte et de conquete autour de la matiere. Dites! quels temps verses au gouffre des annees, Et quelle angoisse ou quel espoir des destinees, Et quels cerveaux charges de noble lassitude A-t-il fallu pour faire un peu de certitude? Dites! l'erreur plombant les fronts; les bagnes De la croyance ou le savoir marchait au pas; Dites! les premiers cris, la-haut, sur la montagne, Tues par les bruits sourds de la foule d'en bas. Dites! les feux et les buchers; dites! les claies; Les regards fous en des visages d'effroi blanc; Dites! les corps martyrises, dites! les plaies Criant la verite, avec leur bouche en sang. C'est la maison de la science au loin dardee, Par a travers les faits jusqu'aux vastes idees. Avec des yeux Meticuleux ou monstrueux, On y surprend les croissances ou les desastres S'echelonner, depuis l'atome jusqu'a l'astre. La vie y est fouillee, immense et solidaire, En sa surface ou ses replis miraculeux, Comme la mer et ses vallons houleux, Par le soleil et ses mains d'or myriadaires. Chacun travaille, avec avidite, Methodiquement lent, dans un effort d'ensemble; Chacun denoue un noeud, en la complexite Des problemes qu'on y rassemble; Et tous scrutent et regardent et prouvent, Tous ont raison - mais c'est un seul qui trouve! Ah celui-la, dites! de quels lointains de fete, Il vient, plein de clarte et plein de jour; Dites! avec quelle flamme au coeur et quel amour Et quel espoir illuminant sa tete; Dites! comme a l'avance et que de fois Il a senti vibrer et fermenter son etre Du meme rythme que la loi Qu'il definit et fait connaitre. Comme il est simple et clair devant les choses, Et humble et attentif, lorsque la nuit Glisse le mot enigmatique en lui Et descelle ses levres closes; Et comme en s'ecoutant, brusquement, il atteint, Dans la foret toujours plus fourmillante et verte, La blanche et nue et vierge decouverte Et la promulgue au monde ainsi que le destin. Et quand d'autres, autant et plus que lui, Auront a leur lumiere incendie la terre Et fait crier l'airain des portes du mystere, - Apres combien de jours, combien de nuits, Combien de cris pousses vers le neant de tout, Combien de voeux defunts, de volontes a bout Et d'oceans mauvais qui rejettent les sondes - Viendra l'instant, ou tant d'efforts savants et ingenus, Tant de cerveaux tendus vers l'inconnu, Quand meme, auront bati sur des bases profondes Et s'elancant au ciel, la synthese des mondes! C'est la maison de la science au loin dardee Par a travers les faits, jusqu'aux fixes idees. Vers le futur Î race humaine aux destins d'or vouee, As-tu senti de quel travail formidable et battant, Soudainement, depuis cent ans, Ta force immense est secouee? L'acharnement a mieux chercher, a mieux savoir, Fouille comme a nouveau l'ample foret des etres, Et malgre la broussaille ou tel pas s'enchevetre L'homme conquiert sa loi des droits et des devoirs. Dans le ferment, dans l'atome, dans la poussiere, La vie enorme est recherchee et apparait, Tout est capte dans une infinite de rets Que serre ou que distend l'immortelle matiere. Heros, savant, artiste, apotre, aventurier, Chacun troue a son tour le mur noir des mysteres Et grace a ces labeurs groupes ou solitaires, L'etre nouveau se sent l'univers tout entier. Et c'est vous, vous les villes, Debout De loin en loin, la-bas, de l'un a l'autre bout Des plaines et des domaines, Qui concentrez en vous assez d'humanite, Assez de force rouge et de neuve clarte, Pour enflammer de fievre et de rage fecondes Les cervelles patientes ou violentes De ceux Qui decouvrent la regle et resument en eux Le monde. L'esprit de la campagne etait l'esprit de Dieu; Il eut la peur de la recherche et des revoltes, Il chut; et le voici qui meurt, sous les essieux Et sous les chars en feu des nouvelles recoltes. La ruine s'installe et souffle aux quatre coins D'ou s'acharnent les vents, sur la plaine finie, Tandis que la cite lui soutire de loin Ce qui lui reste encor d'ardeur dans l'agonie. L'usine rouge eclate ou seuls brillaient les champs; La fumee a flots noirs rase les toits d'eglise; L'esprit de l'homme avance et le soleil couchant N'est plus l'hostie en or divin qui fertilise. Renaitront-ils, les champs, un jour, exorcises De leurs erreurs, de leurs affres, de leur folie; Jardins pour les efforts et les labeurs lasses, Coupes de clarte vierge et de sante remplies? Referont-ils, avec l'ancien et bon soleil, Avec le vent, la pluie et les betes serviles, En des heures de sursaut libre et de reveil, Un monde enfin sauve de l'emprise des villes? Ou bien deviendront-ils les derniers paradis Purges des dieux et affranchis de leurs presages, Ou s'en viendront rever, a l'aube et aux midis, Avant de s'endormir dans les soirs clairs, les sages? En attendant, la vie ample se satisfait D'etre une joie humaine, effrenee et feconde; Les droits et les devoirs? Reves divers que fait, Devant chaque espoir neuf, la jeunesse du monde! Les Villages illusoires Les Pecheurs Sur le fleuve couleur de fiel Passent en lamentable escorte Mille amas pestilentiels; Et la lune semble une morte Qu'on enfouit au bout du ciel. Seules, en des barques, quelques lumieres Illuminent et grandissent les dos Obstinement courbes sur l'eau, Des vieux pecheurs de la riviere, Qui longuement, depuis hier soir, Pour on ne sait quelle peche nocturne, Ont descendu leur filet noir Dans l'eau mauvaise et taciturne. Au fond de l'eau, sans qu'on les voie, Sont reunis les mauvais sorts Qui les guettent, comme des proies, Et qu'ils pechent, a longs efforts, Croyant au travail simple et meritoire, La nuit, sous des signes contradictoires. Les minuits lourds sonnent la-bas, A battants lents, comme des glas; De tour en tour, les minuits sonnent, Les minuits lourds des nuits d'automne, Les minuits las. Les villages sont engourdis, Les villages et leurs taudis Et les saules et les noyers Ou les vents d'Ouest ont guerroye. Aucun aboi ne vient des bois Ni aucun cri, par a travers le minuit vide, Qui s'imbibe de cendre humide. Sans qu'ils s'aident, sans qu'ils se helent, En leurs besognes fraternelles, N'accomplissant que ce qu'il doit, Chaque pecheur peche pour soi: Et le premier recueille, en les mailles qu'il serre, Tout le fretin de sa misere; Et celui-ci ramene, a l'etourdie, Le fond vaseux des maladies; Et tel ouvre ses nasses Aux desespoirs qui le menacent; Et celui-la recueille au long des bords, Les epaves de son remords. Dans leurs barques, ou rien ne bouge, Pas meme la flamme d'un falot rouge Trouant, de grands halos de sang, Le feutre epais du brouillard blanc, La mort couvre de son silence Les vieux pecheurs de la demence. Ils sont les isoles au fond des brumes, Cote a cote, mais ne se voyant pas: Et leurs deux bras sont las; Et leur travail, c'est leur ruine. Dites, si dans la nuit, ils s'appelaient Et si leurs voix se consolaient! Mais ils restent mornes et gourds, Le dos voute et le front lourd, Avec, a cote d'eux, leur petite lumiere Immobile, sur la riviere. Comme des blocs d'ombre, ils sont la, Sans que leurs yeux, par au-dela Des bruines apres et spongieuses, Ne se doutent qu'il est, au firmament, Attirantes comme un aimant, Des etoiles prodigieuses. Les pecheurs noirs du noir tourment Sont les perdus, immensement, Parmi les loins, parmi les glas Et les perils qu'ils ne voient pas; Et l'humide minuit d'automne Pleut en leur ame monotone. Le Meunier Le vieux meunier du moulin noir, On l'enterra, l'hiver, un soir De froid rugueux, de bise aigue En un terrain de cendre et de cigues. Le jour dardait sa clarte fausse Sur la beche du fossoyeur; Un chien errait pres de la fosse, L'aboi tendu vers la lueur. La beche, a chacune des pelletees, Telle un miroir se deplacait, Luisait, mordait et s'enfoncait Dans les terres violentees. La fin du jour s'emplit d'ombres suspectes. Sur fond de ciel, le fossoyeur, Comme un enorme insecte, Semblait lutter avec la peur; La beche entre ses mains tremblait, Le sol se crevassait Et quoi qu'il fit, rien ne comblait Le trou qui, devant lui, Comme la nuit, s'elargissait. Au village la-bas, Personne au mort n'avait prete deux draps. Au village la-bas, Nul n'avait dit une priere. Au village la-bas, Personne au mort n'avait sonne le glas. Au village la-bas, Aucun n'avait voulu clouer la biere. Et les maisons et les chaumieres Qui regardaient le cimetiere, Pour ne point voir, etaient la toutes, Volets fermes, le long des routes. Le fossoyeur se sentit seul Devant ce defunt sans linceul Dont tous avaient garde la haine Et la crainte, dans les veines. Sur sa butte morne de soir, Le vieux meunier du moulin noir, Jadis, avait vecu d'accord Avec l'espace et l'etendue Et les tempetes suspendues Aux gestes fous des vents du Nord; Son coeur avait longuement ecoute Ce que les bouches d'ombre et d'or Des etoiles devoilent Aux attentifs d'eternite; Les cirques gris des bruyeres austeres L'avaient cerne de leur mystere A l'heure ou l'enigme s'eveille Et parle a l'ame et la conseille. Les grands courants qui traversent tout ce qui vit Etaient, avec leur force, entres dans son esprit, Si bien que dans son ame isolee et profonde Ce simple avait senti la volonte du monde. Les plus anciens ne savaient pas Depuis quels jours, loin du village, Il perdurait, la-bas, Guettant l'envol et les voyages Des feux dans les nuages. Il effrayait par le silence Dont il avait, sans bruit, Tisse son existence; Il effrayait encor Par les yeux d'or De son moulin tout a coup clairs, la nuit. Et personne n'aurait connu Son agonie et puis sa mort, N'etaient que les quatre ailes Qu'il agitait vers l'inconnu, Comme des suppliques eternelles, Ne s'etaient, un matin, Definitivement fixees, Noires et immobilisees, Telle une croix sur un destin. Le fossoyeur voyait l'ombre et ses houles Grandir comme des foules Et le village et ses closes fenetres Se fondre au loin et disparaitre. L'universelle inquietude Peuplait de cris la solitude; En voiles noirs et bruns, Le vent passait comme quelqu'un; Tout le vague des horizons mobiles Devenait remuement et frolement hostile, Jusqu'au moment ou, les yeux fous, Jetant sa beche n'importe ou, Avec les bras multiples de la nuit