Vers la mer Comme des objets freles, Les vaisseaux blancs semblent poses, Sur la mer eternelle. Le vent futile et pur n'est que baisers; Et les ecumes Qui, doucement, echouent Contre les proues, Ne sont que plumes: Il fait dimanche sur la mer! Telles des dames Passent, au ciel ou vers les plages, Voilures et nuages: Il fait dimanche sur la mer; Et l'on voit luire, au loin, des rames, Barres de prismes sur la mer. Fier de moi-meme et de cette heure, Qui scintillait, en grappes de joyaux Translucides sur l'eau, J'ai crie, vers l'espace et sa splendeur: "Î mer de luxe frais et de moires fleuries, Ou le mouvant et vaste ete Marie Sa force a la douceur et la limpidite; Mer de clarte et de conquete Ou voyagent, de crete en crete, Sur les vagues qu'elles irisent, Les brises; Mer de beaute sonore et de vives merveilles Dont la rumeur bruit a mes oreilles Depuis qu'enfant j'imaginais les greves bleues Ou l'Ourse et le Centaure et le Lion des cieux Venaient boire, le soir, La-bas, tres loin, a l'autre bout du monde; Î mer, qui fus ma joie etonnee et feconde, Î mer, qui fus ma jeunesse cabree, Ainsi que tes marees Vers les dunes aux mille cretes, Accueille-moi, ce jour, ou tes eaux sont en fete! J'aurai vecu, l'ame elargie, Sous les visages clairs, profonds, certains, Qui regardent, du haut des horizons lointains, Surgir, vers leur splendeur, mon energie. J'aurai senti les flux Unanimes des choses Me charrier en leurs metamorphoses Et m'emporter, dans leur reflux. J'aurai vecu le mont, le bois, la terre; J'aurai verse le sang des dieux dans mes arteres; J'aurai brandi, comme un glaive exalte, Vers mon devoir, ma volonte; Et maintenant c'est sur tes bords, o mer supreme, Ou tout se renouvelle, ou tout se reproduit, Apres s'etre disjoint, apres s'etre detruit, Que je reviens pour qu'on y seme Cet univers qui fut moi-meme. L'ombre se fait en moi; l'age s'etend Comme une orniere, autour du champ, Oui fut ma force en fleur et ma vaillance. plus n'est ferme toujours ni hautaine ma lance; L'arbre de mon orgueil reverdit moins souvent Et son feuillage boit moins largement le vent Qui passe en ouragan, sur les forets humaines; Î mer, je sens tarir les sources, dans mes plaines, Mais, j'ai recours a toi pour l'exalter, Une fois encor, Et le grandir et le transfigurer, Mon corps, En attendant qu'on t'apporte sa mort, Pour a jamais la dissoudre en ta vie. Alors, Î mer, tu me perdras en tes furies De renaissance et de fecondite; Tu rouleras en tes ombres et tes lumieres, Ma pourriture et ma poussiere; Tu voileras sous ta beaute Toute ma cendre et tout mon deuil; J'aurai l'immensite des forces pour cercueil Et leur travail obscur et leur ardeur occulte; Mon etre entier sera perdu, sera fondu, Dans le brassin geant de leurs tumultes, Mais renaitra, apres mille et mille ans, Vierge et divin, sauvage et clair et frissonnant, Amas subtil de matiere qui pense; Moment nouveau de conscience; Flamme nouvelle de clarte, Dans les yeux d'or de l'immobile eternite!" Comme de lumineux tombeaux, Les vaisseaux blancs semblent poses, De loin en loin, sur les plaines des eaux. Le vent subtil n'est que baisers; Et les ecumes Qui doucement, echouent Contre les proues, Ne sont que plumes: Il fait dimanche sur la mer! Petites Legendes La Statuette C'etait un jeu de quilles Dont la quille du milieu, Peinte en rouge, peinte en bleu, Etait une statuette faite Au temps des Dieux. Venus, Diane ou bien Cybele, Aucun des vieux ne se rappelle En quels temples ou en quels bouges, L'avaient prise des marins rouges Pour la revendre Voici cent ans, aux gens des Flandres. Un marguillier disait: "C'est elle Qui sous l'ancien cure, Ornait le baldaquin de la chapelle. Elle etalait un manteau d'or moire Comme la Vierge: Ma mere a fait flamber maint cierge Devant elle." Un autre avait entendu dire, Par son pere, qui le tenait D'un marechal du Saint-Empire, Que l'image venait De Rome ou peut-etre d'Espagne. On l'avait mise au carrefour, sous le tilleul Qui recouvrait, enorme et seul, Quatre chemins dans la campagne. Elle etait bonne et veneree, Jadis, dans toute la contree. Des malades furent gueris Grace a son aide et son esprit Et des paralytiques Marcherent. Sans un vicaire despotique Qui combattait, sur mer et terre, Tous les paiens prestiges, Son nom eclaterait encor, pieux et saint, En des recueils diocesains Ou l'on consigne les prodiges. On la jeta, La nuit, en plein courant, dans la riviere, Mais un courant contraire Obstinement la rapporta, Aux pieds de la digue tranquille Ou ceux de Flandre et de Brabant luttaient aux quilles. Elle etait faite en bois plus dur Que les moellons du mur; Et neanmoins elle etait fine comme un vase Et des roses ornaient sa base. Quelques joueurs la sauverent, a maree haute. On la planta, avec solennite, Dans le milieu du jeu, un jour de Pentecote, Que les cloches s'interpellaient, de berge en berge, Que les premiers soleils d'ete Brillaient et que les filles de l'auberge, Sur des plateaux de cuivre et de lumiere, En bonnets frais et blancs, gaiment, servaient les bieres. Et tous applaudirent celui Qui le premier, devant la foule, D'un seul et large coup de boule, L'abattit. Et tous applaudirent aussi, Ceux qui vinrent, apres lui, Et la coucherent, Cinq fois, par terre. Mais brusquement, celui qui le premier L'avait atteinte, Palit: Son clos des _champs qui tintent_ Brulait la-bas; et les fumiers Reverberaient les crins rouges de l'incendie, Dans leurs mares effrayamment grandies. Et puis, Huit jours plus tard, l'un des plus francs buveurs Et des plus fiers vainqueurs au jeu de quilles, Rentrant, chez lui, la nuit, Trouva sa fille morte Devant la porte. Il ne pensa d'abord a rien; Mais il s'abstint De s'en aller, chaque Dimanche, A l'auberge de la _Croix-Blanche_. Enfin, Un jour que le jeune echevin Rafla, d'un coup geant; le jeu entier, L'aile gauche de son grenier Degringola dans le verger Et tua net le chien et le berger. Depuis ce temps, la peur filtra dans les esprits Et la terreur souffla et la terreur grandit Quand on apprit Que l'hotesse de la Croix-Blanche, allant Querir, le soir, sous l'appentis, Du bois et des pailles pour la Saint-Jean, Vit, dans l'ombre, flamboyer devant elle, Les yeux en feu De la statuette immortelle. Le village trembla. Et le cure Eut beau exorciser Chaque quille, suivant les rites, La paroisse ne le tint quitte, Qu'au jour ou l'etrange morceau de bois Eut son royal manteau de belle etoffe Et fut loge, comme autrefois, Dans sa niche, pres de l'autel de Saint-Christophe. On deplaca le trop austere Et turbulent vicaire; Les pratiques des anciens jours Revecurent et reprirent leur cours; Et Cybele, Venus ou bien Diane Mela, comme jadis, sa puissance profane Aux prodiges que Saint-Corneille Faisait surgir de son orteil Use, depuis quels temps lointains, Par les levres et par les mains De l'innombrable espoir humain. Les Forces tumultueuses L'Art D'un bond, Son pied cassant le sol profond, Sa double aile dans la lumiere, Le cou tendu, le feu sous les paupieres, Partit, vers le soleil et vers l'extase, Ce devoreur d'espace et de splendeur, Pegase! Molles, des danses Alanguissaient leur grace et leur cadence Au vert sommet des collines, la-bas. C'etaient les Muses d'or: leurs pas S'entrecroisaient comme des fleurs melees. L'amour, aupres d'elles, dormait sous un laurier, Et les ombres du feuillage guerrier Tombaient sur l'arc et sur les fleches barbelees. L'Olympe et l'Helicon brillaient dans l'air; Sur les sommets, d'ou les sources s'epanchent, Des temples purs, ainsi que des couronnes blanches, Illuminaient les bourgades des vallons clairs. La Grece, avec ses Parthenons de marbre Et ses gestes de Dieux qui agitaient les arbres A Dodone, la Grece entiere, avec ses monts Et ses villes dont la lyre chantait les noms, Apparaissait, sous le galop du fol cheval, Comme une arene familiere A son essor quotidien dans la lumiere. Mais tout a coup, plus loin que le pays natal, Un jour, il vit, du fond des passes mornes, Surgir, serrant un disque entre ses cornes, L'inepuisable et lourde et maternelle Isis. Et ce fut l'art de Thebes ou de Memphis Taillant Hator, la blanche, en de roses pylones, Et ce fut Suse et Babylone Et leurs jardins pendus a quels clous d'astres d'or? Et puis Ninive et Tyr, et les decors De l'Inde antique et les palais et les pagodes, Sous la moiteur des saisons chaudes, Tordant leur faite, ainsi que des brasiers sculptes. Et meme au loin, ce fut cet Orient monte En kiosques d'email, en terrasses d'ivoire, Ou des sages et les sennins notoires Miraient dans l'eau belle, mais transitoire, Leurs visages de jouets; Et doucement, riaient a leur reflet, Des gestes vains que dans la vie, ils avaient faits. Et de cet inconnu vaste, montaient des Odes, Suivant des jeux, suivant des modes, Que Pegase scandait de son pas affermi; On eut dit qu'en ses hymnes anciens Son chant quotidien Avait longtemps dormi, Avant de s'eveiller aux musiques sublimes Qu'il propageait, de cime en cime, A travers l'infini. Sur ce monde d'email, de bronze et de granit, S'aureolaient aussi les poetes lucides; Ils devastaient la mort nocturne ainsi qu'Alcide; Leurs poemes ardents, qui affirmaient les lois, Traversaient quelquefois la volonte des rois? Leur front buttait contre la force inassouvie; Leur ame intense et douce avait prevu la vie Et repandait deja comme un beau reve clair, Sur le sommeil d'enfant que donnait l'univers. Le cheval fou qu'aucun bond d'audace Ne lasse, D'un plus geant coup d'aile encor, grandit son vol Et s'exalta, plus haut encor, parmi l'espace. Alors, une autre mer, un autre sol, A sa gauche, s'illimiterent, Et ce fut l'occident, et ce fut l'avenir Dont la grandeur allait se definir Qui s'eclairerent. La-bas, en des plaines de brume et de rosee, En des regions d'eaux, de montagnes, de bois, Apparaissaient des temples blancs, d'ou l'or des croix Dardait une clarte nouvelle et baptisee. Chaque ville se dessinait comme un bercail, Ou le troupeau des toits massait ses toisons rouges; De merveilleux palais y dominaient les bouges; Une abside s'y deployait comme un camail; Des jardins d'or y sommeillaient sous de grands arbres, Des rivieres y sillonnaient des quais de marbre; Des pas massifs et reguliers de soldats roux Couraient au loin, sous un envol de drapeaux fous; Sur des tertres, montaient de hauts laboratoires; Des usines brulaient les vents, avec leurs feux, Et tout cela priait, frappait, mordait les cieux, Avec un elan tel, que souriait la gloire. Et c'etait Rome, et puis Florence et puis Paris, Et puis Londres et puis, au loin, les Ameriques; C'etait le travail fou et ses fievres lyriques Et sa lueur enorme a travers les esprits. Le globe etait conquis. On savait l'etendue. Des feux pareils aux feux des etoiles, la-haut, Faisaient des gestes d'or: on eut dit des flambeaux Fixes pour ramener la pensee eperdue; Comme autrefois, les poetes fervents et clairs Passaient pareils aux dieux, dans l'etendue ardente, Ils grandissaient leur siecle - Hugo, Shakespeare, Dante - Et dediaient leur vie au coeur de l'univers. Et Pegase sentit ces visions nouvelles Si vivement eblouir ses prunelles Qu'il fut comme inonde d'orgueil et de lumiere, Et que, les dents sans frein, le col sans renes, Il delaissa soudain sa route coutumiere. Et desormais, le monde entier fut son arene. Le Tribun Et tel que ces arbres cernes de rude ecorce, Qu'on maintenait, jadis, au coeur des vieux quartiers, Debout - il apparait tetu, puissant, altier, Serrant en lui, dites, quels n?uds de force! Enfant, il a grandi sur le trottoir des villes En un faubourg lepreux, livide et convulse, Ou des hommes rageaient de se sentir serviles Et prisonniers, depuis mille ans, des vieux passes. Î son bondissement, soudain, dans les melees, Lorsque le peuple, un jour vers les facades d'or, Marcha, les poings enfin dresses contre le sort, Et que les coups pleuvaient et que les pierres Aux coleres melees, Cassant les hauts carreaux pleins de lumieres Semblaient broyer et disperser, sur le pave, De l'or! Et son verbe brusque et leve, Comme un faisceau hargneux de pointes Ferocement disjointes; Et sa colere et sa folie et son amour Roulant ensemble et s'exaltant, autour De chacune de ses idees; Et sa raison violente et dardee Faite de passion et de bouillonnement Et son geste d'orage et de grand vent Qui projetait son reve, ainsi qu'une semence, Ardente et rouge, en des milliers de fronts vivants! Depuis il fut le roi des superbes demences, Il est monte et monte encor, sait-il jusqu'ou! Son pouvoir neuf, son pouvoir fou, Il ne sait plus ou il commence. Il monte - et l'on croirait que le monde l'attend, Si large est la clameur des coeurs battant A l'unisson de ses paroles souveraines. Il est effroi, danger, affre, fureur et haine; Il est ordre, silence, amour et volonte; Il scelle en lui toutes les violences lyriques, Ou se trempe l'orgueil des hommes historiques Dont l'oeuvre est faite, avec du sang d'eternite. Et le voici debout au carrefour du monde, Ou les vieux chemins d'hier croisent les grands chemins, Par ou s'avanceront ceux qui viendront demain Vers on ne sait quelle aube eclatante et profonde. Homme d'autant plus grand qu'il est de vierge instinct, Qu'il ignore le rouge eclair dont le destin, Sans le tuer d'abord, mit en ses mains la foudre; Qu'il est l'enigme en feu que nul ne peut resoudre Et qu'il reste plante, du coeur jusques aux pieds, En plein peuple, pour s'en nourrir - ou en mourir, Un jour, tenace et tout entier! Et qu'importe qu'apres sonoeuvre faite, Il disparaisse, un soir de deuil, un soir de fete, Honni ou exalte par ceux qu'il a servis. Le temps marche et l'heure est a quelque autre; Les plus jeunes n'ont point suivi, Jusques au bout, sa voix et son geste d'apotre; Il s'efface - mais ce sera pour revenir; Son ame etait trop loin vers l'avenir Et ses greves, cabree, Pour avoir peur des tombantes marees Qui succedent toujours aux flux geants; Sa force, elle est la-bas, lueur sur l'Ocean, Elle est pleine d'etincelles nouvelles, Les verites qu'il suscita de sa cervelle Se sont faites moelles, muscles et chair; Il a tordu la vie entiere en son eclair Et desormais elle est ployee, elle est creusee, Telle que seul d'abord il l'a pensee. Le Banquier Sur un bureau noir, ou les liasses abondent, Serre dans son fauteuil etroit, morne et branlant, Il griffonne menu, au long d'un papier blanc; Mais sa pensee, elle est la-bas, au bout du monde. Le Cap, Java, Ceylan vivent devant ses yeux Et l'ocean d'Asie, ou ses mille navires ä l'Est, a l'Ouest, au Sud, au Nord, cinglent et virent Et les voiles au clair, rentrent en des ports bleus. Et les gares qu'il edifie et les rails rouges Qu'en ses forges l'on tord et qu'il destine au loin A des pays d'ebene et d'ambre et de benjoin, A des deserts, ou seul encor le soleil bouge; Et ses sources de naphte et ses mines de fer Et le tumulte fou de ses banques sonores Qui grise, enfievre, exalte, hallucine, devore Et dont le bruit s'epand au-dela de la mer; Et les peuples dont les senats sont ses garants; Et ceux dont il pourrait briser les lois futiles, Si la debacle ou la revolte etaient utiles A la marche sans fin de ses projets errants; Et les guerres vastes dont il serait lui-meme - Meurtres, rages et desespoirs - le seul vrai roi Qui rongerait, avec les dents des chiffres froids, Les noeuds taches de sang des plus ardents problemes; Si bien qu'en son fauteuil use, morne et branlant, Quand il griffonne, a menus traits, sur son registre, Il lie a son vouloir bourgeois le sort sinistre Et domine le monde, ou corne l'effroi blanc. Oh l'or! son or qu'il seme au loin, qu'il multiplie, La-bas, dans les villes de la folie, La-bas, dans les hameaux calmes et doux, Dans l'air et la lumiere et la splendeur, partout! Son or aile qui s'enivre d'espace, Son or planant, son or rapace, Son or vivant, Son or dont s'eclairent et rayonnent les vents, Son or que boit la terre Par les pores de sa misere, Son or ardent, son or furtif, son or retors, Morceau d'espoir et de soleil - son or! Il ignore ce qu'il possede Et si son monceau d'or excede, Par sa hauteur, les tours et les beffrois; Il l'aime avec prudence, avec sang-froid, Avec la joie apre et profonde D'avoir a soi, comme tresor et comme bien, Sous la garde des cieux quotidiens, Le bloc meme du monde. Et les foules le meprisent, mais sont a lui. Tous le craignent: l'or le grandit. L'universel desir et ses milliers de flammes Brulent leur ame autant qu'il ravage son ame; Il est celui qui divise le pain Miraculeux du gain, S'il les trompe, qu'importe. Chacun revient vers lui apres avoir quitte sa porte. Avec de grands remous Sa force roule en torrent fou Et bouillonne et bondit et puis entraine - Feuilles, rameaux, cailloux et graines - Les fortunes, les epargnes et les avoirs Et jusqu'aux moindres sous que recomptent, le soir, A la lueur de leur lanterne, Les gens de ferme. Ainsi, domptant les rois et les peuples et ceux Dont la puissance pauvre, en ses coffres, expire, Du fond de son fauteuil use, morne et boiteux, Il definit le sort des mers et des empires. Les Villes Î ces villes, par l'or putride, envenimees! Masses de pierre, et vols et gestes de fumees, Domes et tours d'orgueil et colonnes debout Dans l'espace qui vibre et le travail qui bout, En aimas-tu l'effroi et les affres profondes, Î toi, le voyageur Qui t'en allais triste et songeur, Par les gares de feu qui ceinturent le monde? Cahots et bonds de trains par au-dessus des monts! L'intime et sourd tocsin qui enfievrait ton ame Battait aussi dans ces villes, le soir; leur flamme Rouge et myriadaire illuminait ton front, Leur aboi noir, leur cri vengeur, leur han fecond Etaient l'aboi, le cri, le han de ton coeur meme; Ton etre entier etait tordu en leur blaspheme, Ta volonte jetee en proie a leur torrent Et vous vous maudissiez tout en vous adorant. Oh leurs chaines, leurs crocs, leurs supplices, Et leurs meurtres plantes dans le torse des lois! Le coeur de leurs bourdons, le front de leurs beffrois Ont oublie le nombre exact de leurs victimes; Leur monstrueux decor barre le firmament; Le siecle et son horreur se condensent en elles, Mais leur ame contient la minute eternelle Qui date, au long des jours innombrables, le temps. D'age en age, l'histoire est fecondee Sous l'afflux d'or de leurs idees; Leur moelle et leur cerveau Se ravivent du sang nouveau Qu'infuse au monde vieux la foule ou le genie. Elles illuminent l'audace et communient Avec l'espace et fascinent les horizons. Leur magnetisme est fort comme un poison. Tout front qui domine les autres, Savant, penseur, poete, apotre, Mele sa flamme a la lueur de leurs brasiers; Elles dressent vers l'inconnu les escaliers Par ou monte l'orgueil des recherches humaines Et broient, sous leurs pieds clairs, l'erreur qui tend ses De l'univers a l'homme, et des hommes a Dieu. Avez-vous vu, le soir, leurs couronnes de feu, Temples de verre et d'or assis sur les collines, D'ou se braquent vers les etoiles sibyllines, Les monstrueux regards des lentilles d'airain? Et puis, en des quartiers silencieux, soudain, Avez-vous visite les hauts laboratoires, Ou l'on poursuit, de calcul en calcul, De chainon en chainon, de recul en recul, A travers l'infini, la vie oscillatoire? L'homme qui juge, pense et veut, S'y controle et s'y mesure soi-meme. Tous les secrets, tous les problemes, Depuis cent ans, y sont l'enjeu D'une lutte geante avec la destinee. Combats meticuleux et science acharnee! L'enigme est la, dont on cherche les yeux Et qu'on frole toujours, comme une bete hagarde, Pour epier l'instant prodigieux, Ou, tout a coup, ces yeux vaincus se dardent, Refoulant l'ombre et devoilant la verite. Par ce jaillissement brutal hors des tenebres, Quelque chose du monde est tout a coup change; Il n'importe qu'on nie ou qu'on celebre L'homme unique dont le genie a saccage Les mysteres barres par des cloisons hostiles, Sa force est resorbee en la force des villes Et leur enorme vie en est encor grandie! Ainsi, de laps en laps, ceux qui pensent dedient A l'avenir humain l'ardeur de leur cerveau; Et tandis qu'ils vivent pour des pensers nouveaux, D'autres qui travaillent pour les foules - se levent. Ceux-ci sont les heros et les martyrs du reve Qu'ils entrevoient, la-bas, par des jardins de sang, Marcher, pour aboutir au seuil resplendissant Des temps, ou la justice aura dompte les hommes. L'erreur a promulgue des lois, noirs axiomes, Qu'on doit ronger sans cesse, en attendant le jour De les casser a coups d'emeute ou de revolte; S'il faut le rouge engrais pour les pures recoltes, S'il faut la haine immense avant l'immense amour, S'il faut le rut et la folie aux coeurs serviles, Les bonds des tocsins noirs souleveront les villes En hurlante maree, autour des droits nouveaux. Et dans les halls blafards des vieux faubourgs, la-haut, Ou les lueurs du gaz illimitent les gestes, Les voix, les cris, les poings des tribuns clairs, attestent Que les besoins de tous sont le cercle du droit. Textes, regles, codes, tables, bibles, systemes, Mots solennels et lourds qu'on debite a faux poids: L'homme dans l'univers n'a qu'un maitre, lui-meme, Et l'univers entier est ce maitre, dans lui. Le tribun parle haut et fort; son verbe luit, Sauvage et ravageur, comme un vol de comete; Il est le fol drapeau tendu vers la conquete. Si quelquefois il prend la foule pour tremplin, Qu'importe, il est celui dont le desir est plein, Jusques au bord, de la seve des renaissances; La colere, le desespoir, l'effervescence, Le silence orageux brulent entre ses mains; Il est, a sa maniere, un grand roi souterrain Qui regarde s'enfler toute force soudaine. Et quand, par un accord simple et fatal, s'enchaine Ce que veut le tribun, ce que veut le chercheur, Il n'est aucun eclair brandi par la terreur, Aucun ordre qui ploie, aucun pouvoir qui gronde, Pour ecraser, sous lui, la victoire du monde. La Science Qu'ils soient divinises par les foules, ces hommes Qui scruterent les faits pour en tirer les lois, Qui soumirent le monde a la mesure, et, comme Un roc turgide et noir, ont renverse l'effroi! Jadis, c'etait la mort, son culte et son delire Qui s'emparaient de l'homme et l'entouraient de nuit Pour lui masquer la vie et maintenir l'empire Debout du dogme et du peche; mais aujourd'hui Le mystere geant n'est plus meme funebre, Ombre apres ombre, il disparait dans les clartes, Si bien qu'on songe au jour ou toutes les tenebres Choiront, mortes, sous les pieds clairs des verites. La fable et l'inconnu furent la double proie D'un peuple de chercheurs aux fulgurantes mains Dont les livres ont dit comment la force ondoie Du mineral obscur jusqu'aux cerveaux humains; Comment la vie est une, a travers tous les etres, Qu'ils soient matiere, instinct, esprit ou volonte, Foret myriadaire et rouge ou s'enchevetrent Les debordements fous de la fecondite. Î vous, les eclaireurs des tragiques mysteres Tournes du fond des temps vers nos ages vermeils, Dressez votre splendeur, comme, autour de la terre. Luisent, de loin en loin, des caps dans le soleil. A-t-il fallu scruter et penetrer les choses Pour limiter d'abord et affirmer apres Ce qui dans l'univers fut origine ou cause, Sans s'egarer encor dans le dedale abstrait! Î les controles surs?! les batailles precises! Les vieux textes croules sous des arguments clairs! L'ame de la realite qu'on exorcise Et qu'on libere enfin dans la sante de l'air! Tout l'infini peuple d'hypotheses logiques! Le fourmillement d'ombre et d'or des cieux hautains Soustrait lui-meme aux puissances theologiques Et domine par des calculs froids, mais certains. Les neuves verites ainsi que des abeilles, Pour une ruche unique et pour le meme miel Peinant et s'exaltant et saccageant la treille Des beaux secrets caches qui joint la terre au ciel. Les recherches foulant le sol des consciences; Ordre et desordre se rythmant comme la mer; Le germe humain reproduisant, en sa croissance, Les grands types de vie au cours des temps amers. Et chaque elan vainqueur de la pensee entiere Qui n'a qu'un but: peser, jauger et definir, Se faisant flamme et se fondant dans la lumiere Et la lucidite, qui seront l'avenir. L'homme s'est assigne, sur le globe, sa place Solidaire, dans l'attirant affolement Et le combat entre eux des atomes rapaces Depuis les profondeurs jusques au firmament. Chaque age exige enfin du temps son rapt de flamme Et s'il est vrai qu'apres mille et mille ans, toujours, Quelque inconnu nouveau surgisse au bord de l'ame, Les poetes sont la pour y darder l'amour, Pour l'explorer et l'exalter avant les sages, Sans que les dieux s'en reviennent comme jadis Introniser leur foi dans les vallons des ages Pales encor d'eclairs et d'oracles brandis. Car maintenant que la voie est tracee, immense, Droite et nette, tout a la fois; car maintenant Qu'on regarde partir, robuste et rayonnant, Vers son travail, l'elan d'un siecle qui commence, Le cri de Faust n'est plus notre! L'orgueil des fronts Luit haut et clair, a contre vent, parmi nos routes, L'ardeur est revenue en nous; morts sont les doutes Et nous croyons deja ce que d'autres sauront. L'Erreur La dune allait, au long des mers, vers l'infini, Les hivers convulsifs Tordaient les cieux, sous la foudre et la tempete; Les eaux apparaissaient comme un amas de betes Dont le flux delivrait les aboiements captifs; La dune allait ainsi Apre et sauvage, a pas geants, Autour des Oceans, La dune allait ainsi Indifferente aux cris et aux naufrages Jetes de plage en plage et d'age en age, Vers la pitie lucide et vers l'amour vivant, La dune allait ainsi, Immense et monotone, en son pelerinage, De l'est a l'ouest, au long des mers, avec le vent. Et les siecles, avec la dune, avec le vent, Et les siecles, au long des mers, Passerent Jusques au jour ou l'on planta, Sur des monceaux de sable ou de roches, la-bas, Les phares Sonnant au loin les feux en or de leurs fanfares. Le visage des nuits en fut illumine. Les caps et les courants, Tels des cornes ou des torrents, Apparurent, sur les tenebres profanees; De reguliers eclairs trouaient l'immensite; L'ombre morte se reprenait a vivre? Les vaisseaux noirs que l'etendue enivre Partaient pour la conquete, avec securite; L'homme luttait encor, mais non plus en aveugle, L'espace ou le flot mord, ou le vent meugle, Le regardait, avec des yeux ardents d'eclat, Les eaux pouvaient cacher la quille entiere, Mais dans les voiles et dans les mats, Passaient et repassaient des gestes de lumiere. Les etoiles mortes, une clarte plus sure Accompagnait le mors aux dents vers l'aventure; La terre aimee apparaissait au loin, Malgre l'espace en deuil, comme un temoin Des batailles et des victoires sous la foudre. On dechirait, dans les voiles de l'inconnu, Des chemins clairs que nul ne put recoudre, Le peril franc, le danger nu, Etaient cherches, puis affrontes: la force humaine Si longtemps folle et incertaine Conquit, dans la grandeur des elements domptes, Sa royaute. La dune allait au long des mers vers l'infini; Mais desormais Elle avancait tenant en main de grands flambeaux, On eut dit un cortege illuminant si haut Le ciel, que les astres s'en obscurcirent; La dune allait ainsi La nuit, le jour, Par le chemin qui fait le tour Des royaumes et des empires, Et quand s'interrompait au loin sa ronde, Elle tendait aux bras de pierre Des falaises, les lumieres du monde. Or il se fit qu'au cours des temps Des gens apparurent qui doctement, Avec des mains tres expertes, fausserent La purete des geantes lumieres. Un travail sourd, mais entete Coupa l'amour, d'un biais de haine; Les phalenes des disputes humaines Pullulerent autour de la clarte. On ne distinguait plus la splendeur sure Tendre ses reguliers eclairs, Comme des barres sur la mer, Vers les bonds fous de l'aventure. Et les ardents et tranquilles flambeaux Qui dominaient la lutte et les batailles, Eclairerent des funerailles Et de brusques tombeaux. Hommes de notre temps, le sort vous parut morne, Le jour qu'il vous fallut aller combattre au loin Et qu'un phare sans feu demeura seul temoin De vos departs la nuit sur l'ocean sans bornes. Quelques-uns d'entre vous s'assirent sur la greve, Le poing sous le menton, Ou bien se dirigerent a tatons, Vers les erreurs des anciens reves. D'autres, plus fermes et les meilleurs, S'imposerent la tache coutumiere, De refaire de la lumiere, Avec d'autres lueurs. Mais les plus exaltes se dirent dans leur coeur: "Partons quand meme avec notre ame inassouvie, Puisque la force et que la vie Sont au-dela des verites et des erreurs". Les Cultes Toutes les enclumes des ors et des tonnerres Retentissent, la-haut, en des amas de nuit; Un atelier de feu et d'ombre y fut construit Par Gog et par Magog pour les dieux millenaires. Ammon et Jeho'vah y rencontrent Satan; Le vieux Vulcain y frappe, a coups brutaux mais justes, Pour le compte du Christ, l'aureole des justes.